Le fond de l’air était humide, ce qui était tout à fait de circonstance sur un navire qui est censé être au fond de l’océan, et les efforts physiques de nos corps en action alourdissait l’air un peu plus. Les seuls bruits qu’on entendait étaient le crissement de nos semelles de soulier contre le sol du terrain de squash à chacun de nos mouvements, le sifflement des raquettes qui fendaient l’air à grande vitesse et rebondissements de la petite balle noire de caoutchouc qui heurtait le mur devant nous. Nous ne parlions pas, telle avait toujours été la règle de base lors de nos parties de squash à Thomas et moi. Pendant les petites pauses que nous nous permettions, nous parlions de tout et de rien, surtout de rien, mais au final, je ne savais pas beaucoup de choses de la vie de Thomas et il ne savait rien, ou presque, de la-mienne. Nous étions des partenaires de squash et lorsque la partie prenait fin, nous prenions chacun notre chemin et ne nous recroisions qu’à la prochaine partie. Après tout, nous ne nous connaissions officiellement que depuis quelques temps et nous semblions parfaitement satisfaits de notre relation. Toutefois, les choses ne peuvent rester les mêmes pour toujours et nous allions nous en apercevoir très rapidement.

Mon front perlait de sueur et ma respiration était plus saccadée. Nous n’avions aucun spectateur et c’était parfait ainsi. Thomas frappa la balle de toutes ses forces contre le mur et au moment où elle revint vers moi, mon bras ne se leva pas assez vite et cette dernière tomba au sol, rebondissant quelque peu et roula finalement doucement contre le fond du terrain. « Putain! » Avais-je juré en français avant de lever les yeux vers Thomas. Posant les mains de chaque côté de mes hanches, je respirais profondément, soufflant l’air bruyamment par ma bouche tout en fixant Thomas. « Je crois qu’il est temps de prendre une petite pause… » Terminant ma phrase par un petit sourire, je m’assis à même le sol, étirant mes muscles endoloris. Déposant ma raquette à côté de moi, je reprenais mon souffle rapidement et allais me remettre sur pied lorsque la porte du cours de squash s’ouvrit, raisonnant sur le terrain devenu silencieux ou presque. Tournant la tête pour voir qui était notre nouveau compagnon, ce dernier nous regarda, Thomas et moi, puis sans un mot, tourna les talons et disparu derrière la porte par laquelle il était arrivé. Fronçant les sourcils, j’allais chasser cet homme de mon esprit lorsque, en posant mes yeux sur Thomas, je me souvins que cet homme faisait partie de ceux que l’on appelait les revenants. Si j’avais toujours trouvé le cas des revenants fascinant et digne d’y écrire de nombreuses pages d’observations, ces derniers me l’étaient encore plus depuis qu’ils s’étaient mis à tuer des passagers et seulement ceux qui n’étaient pas comme eux. Depuis leur retour, les revenants avaient toujours fait l’objet de méfiance chez certains passagers et j’avais cru que cette série de meurtre avait été le résultat de toute cette paranoïa collective, mais je devais me rendre à l’évidence qu’il y avait une raison beaucoup plus complexe. Thomas aussi semblait réfléchir et je devinais que je n’étais pas le seul à me préoccuper de la venue de cet homme étrange. « Devons-nous poursuivre notre partie de squash ? » avais-je dis avec un petit sourire qui laissait sous-entendre que nous avions quelque chose de beaucoup plus intéressant à faire maintenant.

Les battements de mon coeur n'allaient qu'en s'accélérant depuis que nous avions commencés la partie de Squash il y a de cela plus d'une heure, tout du moins avais-je l'impression qu'une heure était déjà passé tant nous nous dépensions. En effet, nous courrions dans tous les sens où la balle daignait nous envoyer, frappant de toutes nos forces dans cette dernière pour bien la renvoyer chez l'autre. Autant dire que ce sport avait le don de défouler et de détendre mon esprit, bien que mon corps n'était en rien détendu après l'une de ces parties, car trop épuisé. A chacun des coups que je portais à la balle, c'était comme si je me déchargeais de l'un de mes fardeaux, le renvoyant loin, loin de moi et me délivrant ainsi. Même si, l'effet de libération de toute cette douleur, cette rancoeur, cette haine, cette envie de vengeance, ne durait que peu après la fin de la pratique de ce sport. L'effet venait. L'effet repartait. Pareil à un rayon de soleil que nous voudrions garder à tout jamais, mais qui s'en va sans demander de reste. Pareil à une drogue qu'il nous faut prendre pour pouvoir nous sentir bien, vraiment bien, mais la procuration de détente qu'elle offrait ne pouvait en rien rester et s'en allait lentement en nous laissant un manque. Voilà pourquoi, je pratiquais de plus en plus souvent le Squash qui me procurait tout cela, en compagnie de Louis, que je ne connaissais finalement que peu. Après tout, difficile de parler durant une partie, car bien trop encré dans cette dernière pour pouvoir réfléchir posément, et puis, même si nous pouvions, nous ne le ferions en aucun cas. Le silence était une règle d'or durant le Squash. A croire que nous avions tout deux besoins de nous trouver dans une bulle de silence pour décompresser complètement.

Soudainement, le visage de Scarlett s'imposa dans mon esprit, comme une présence de mauvais augure qu'il me fallait chasser pour garder mon sang froid, pour garder cette merveilleuse sensation de calme. Dans la balle je frappais à pleine puissance en direction du mur, désireux de chasser ses traits en me concentrant sur autre chose de plus fort. Arrivée chez Louis, cette balle ne fut renvoyée, trop rapide sans doute pour qu'il est eu le temps de la toucher. Un jure s'échappa alors de ses lèvres, en français certes, mais au vu de l'intonation qu'il avait prit je comprenais parfaitement. Je me tournais alors vers Louis qui respirait fortement. Je remarquais alors, seulement maintenant, que je me trouvais dans le même état. La sueur perlait sur mon front et collait quelque peu ma chemise sur mon torse. Les battements cognaient fort au fond de ma poitrine. L'air entrait et sortait avec une rapidité importante. A croire qu'il me fallait le plus d'air possible pour me calmer. « Je crois qu'il est temps de prendre une petite pause... » Je ne pus que hocher la tête face à ses propos, le souffle bien trop court pour pouvoir ajouter quelque chose. Contre le mur, je m'adossais, tentant tant bien que mal de détendre ma respiration pour qu'elle revienne à son état naturel, soit posé. Nous nous apprêtions à reprendre lorsqu'une personne fit son entrée dans la pièce. L'homme entra, nous détaillas tout deux, puis sorti aussi rapidement qu'il était entré. Autant dire que c'était une rencontre quelque peu étrange. D'autant plus qu'il s'agissait là de l'un de ces fameux revenants qui avaient tué des passagers sans la moindre raison apparente. Qui pouvaient-ils bien être ? Il me faut avouer que cette question me titillait depuis un long moment, mais aujourd'hui, encore plus que les autres jours. La reprise de parole de Louise, me permis de sortir de mes pensées et de constater qu'il pensait plutôt comme moi. « Reprendre notre partie serait plutôt dommage lorsqu’on pense l’activité tout aussi intéressante, et nouvelle, qui s’offre à nous. » Tout comme lui, un sourire apparut sur mes lèvres. Il nous fallait percer ce mystère et j’avais dans l’esprit la parfaite méthode pour le faire. « Et si nous attrapions l’un de ses revenants ? Avec beaucoup de pression il risque de craquer et ainsi de nous ouvrir l’esprit sur le mystère qui les entoure. » Étant donné qu’il était psychiatre je ne doutais pas qu’il devait avoir nombre d’idées pour faire craquer une personne.