Comme souvent, Rosabelle était dans un de ses mauvais jours… Selon quelques mauvaises langues et selon son meilleur ami, Noah, lui-même : la jeune femme n’avait à son actif que de mauvais jours. Elle était consciente de ne pas être facile à vivre au quotidien et d’agacer les autres passagers contraints et forcés de partager sa vie avec ses humeurs maussades et larmes récurrentes, mais elle n’en était pas moins chagrinée pour autant. L’anglaise à la chevelure de feu avait fini par ne plus rechercher la compagnie supposée rassurante de ses semblables dans ses moments de trouble émotionnel et préférait à présent s’isoler du reste du monde. Et puisqu’elle partageait sa cabine avec Betsy, une française délurée et peu patiente, il lui avait très vite fallut trouver un autre refuge.
Elle était tombée sur ce pont au hasard de ses errances un beau jour et y revenait fréquemment. La vision des canots de sauvetage était pour beaucoup difficile à supporter. Les autres, ceux qui ne s’étaient pas réveillés sur le Titanic après son naufrage, avaient échappés à la mort grâce à eux et elle pouvait aisément comprendre que les voir là pouvait soulever le cœur des passagers.

Rosa n’en avait pas vu un seul quitter le bateau ce soir là et pouvait donc plus aisément supporter leur présence sur le pont. C’était les portes grillagées qui lui posaient un problème en revanche… Mais mieux valait ne pas y songer, son moral était déjà assez bas comme cela sans qu’elle se torture davantage.
Encore qu’elle n’était bonne qu’à cela : remuer le passé, se morfondre et espérer être punie pour ses terribles forfaits. Se bercer d’illusion et se déculpabiliser en se convainquant qu’elle n’avait fait que suivre les ordres cette nuit là ne ramènerait personne à la vie et ne lui apporterait pas la mort à laquelle elle aspirait tant. Il lui fallait assumer pleinement ses actes et faire pénitence, c’était le seul moyen.

Encore que depuis la réception, Rosabelle commençait à douter. L’homme n’était pas réapparut depuis l’incident, il s’était évaporé après avoir insulté copieusement la foule, le bateau et avoir tenté de l’incendier. Et si c’était CA la solution ? Fallait-il qu’elle-même sabote le paquebot pour être enfin délivrée ?
D’un autre côté, c’était dans les flammes que l’homme avait périt et ça ne pouvait signifier qu’une seule chose : s’il était vraiment bel et bien mort, c’était en Enfer qu’il se trouvait à présent. Rosabelle ne souhaitait pas se damner. Mais peut-être l’était-elle déjà… Elle avait beau demander pardon et avoir été confessé par le prêtre du Titanic, elle n’arrivait pas à concevoir que des péchés comme les siens puissent être pardonnés…

Mais la jeune femme fut brusquement arrachée à ses sombres pensées par la voix d’un homme qui venait d’apparaitre à ses côtés. Elle eut un sursaut et porta ses mains à sa poitrine et la croix qui pendait à son cou. Rosabelle se ressaisit pourtant très rapidement et, sentant ses joues s’empourprer, elle reporta son regard azuré sur l’étendu d’eau sans fin sur laquelle glissait l’imposant bâtiment marin.

« O-oui, c’est certain » bredouilla-t-elle, glissant un rapide coup d’œil en direction du grand jeune homme qui se tenait près d’elle, passant une mèche de ses longs cheveux derrière son oreille avec nervosité « Je me dis parfois également qu’il…qu’il est cruel qu’ils soient reparus eux aussi. C’est comme s’ils…comme s’ils nous narguaient » tenta-t-elle d’expliquer, les joues rougies, se sentant idiote de faire ainsi part de ses réflexions à un parfait inconnu.

A dire vrai, elle ne savait pas quoi penser de cela comme du reste, elle faisait simplement part d’un ressenti. Ces canots de sauvetage avaient permis à environ 700 personnes de s’échapper de l’épave sombrante du paquebot britannique le soir du naufrage, mais par déduction, environs 1500 personnes n’avaient pu en bénéficier et étaient aujourd’hui coincées à son bord. Les voir sur le pont lui était donc pénible et chaque fois que Rosabelle posait son regard sur eux, elle ne pouvait empêcher son cœur de se serrer, son estomac de remonter dans sa gorge. Des chiffres pénibles qu’elle avait entendu prononcer par les membres d’équipage lui venaient alors en tête : 53 enfants morts sur les 109 qui avaient embarqués. 53 enfants qui n’avaient pas eu l’occasion de monter à bord de l’un d’eux et de fuir cet enfer… Comme ils avaient dû avoir peur. Et elle était en partie responsable de cet état de fait. Elle se sentait responsable de la mort de centaines de personnes, dont des femmes et des enfants, et ces canots que la plupart des troisièmes classes n’avaient pas eu l’occasion d’atteindre par sa faute le lui rappelaient constamment.
Le garçon face à elle faisait-il partit de ces gens sur qui elle avait refermée la grille ? L’avait-elle empêché de remonter jusqu’au pont avec sa famille, un enfant peut-être ? L’avait-elle condamné ?
Marcus Cream. Ce nom ne lui disait rien du tout et elle ne se souvenait pas avoir déjà pris el temps de converser avec lui depuis leur réveille sur le Titanic, ou avant son naufrage. Il était d’ailleurs toujours épatant (et agréable) de rencontrer de nouvelles personnes malgré leur situation et l’enfermement.

« Enchantée, Monsieur Cream » le salua-t-elle en penchant légèrement la tête, lui faisant tout à fait face à présent et ravalant tant bien que mal sa gêne maladive pour se risquer à esquisser un sourire poli « Rosabelle Wilde. Je suis hôtesse sur le Titanic et à votre service si vous avez la moindre question »

Elle n’avait jamais été très douée pour faire de l’humour et sa remarque tenait plus du cynisme qu’autre chose en réalité. Elle était moquée par ses collègues pour la simple et injuste raison qu’elle prenait son travail à cœur, avant et après le drame. Oh bien sûr, il lui avait fallut un petit temps d’adaptation après être « revenue à la vie » et elle était resté prostrée des jours durant à ne rien faire, ne pas parler ou se sustenter, mais la rouquine s’était rapidement ressaisie pour se concentrer corps et âme à son travaille. Elle n’était plus payée pour le faire, n’avait aucun avantage à se fatiguer pour les autres (beaucoup de membres de l’équipage se prenaient à présent pour de simples passagers d’ailleurs et refusaient de recevoir le moindre ordre) mais c’était un excellent moyen de s’occuper et de se racheter. Après ce qu’elle avait fait, c’était la moindre des choses, non ?

« Cependant, pour toute question concernant le bateau et ce que nous y faisons encore, je ne vous serai, j’en ai bien peur, d’aucun aide, Monsieur » ajouta-t-elle en retrouvant son sérieux, faiasnt référence à la remarque précédente de Marcus.

Elle laissa passer un court silence avant de reprendre, ses sourcils soudain froncés par l'incertitude.

« Vous...vous veniez vous recueillir peut-être ? Si je vous dérange, vous n'avez qu'un mot à dire et je vous laisserai en paix »

Ses joues menacèrent de s’empourprer tandis qu’elle guettait la réponse de Marcus à sa réponse. Elle espérait sincèrement ne pas le déranger dans son recueillement et aurait détestée être elle-même interrompue dans ses prières par un passager simplement venu faire la conversation. Oh bien entendu, elle n’était pas venue le trouver et leur rencontre était tout à fait fortuite, mais n’empêche…
Rosabelle fut cela dit rapidement rassurée par le jeune homme qui lui appris être simplement sur le pont pour se promener en solitaire et obtenir un peu de tranquillité. Une tranquillité qu’il ne voyait finalement aucun mal à laisser perturber par l’arrivée de la rouquine. Elle resta tout de même sur ses gardes, bien décidée à s’éclipser au moindre signe d’ennui provoqué par elle sur le passager, mais parvint à se détendre un peu.
Cela dit, pour une fille du genre de Rosa, être un peu détendu restait un terme tout à fait relatif…

« Oh… » fut d’abord tout ce qu’elle trouva à dire, alors qu’un demi-sourire gêné venait étirer ses lèvres pleines.

Elle était agréablement surprise par cette envie qu’avait Monsieur Cream d’apprendre à mieux la connaître, juste comme ça. Il fut un temps (avant le naufrage du paquebot ironiquement qualifié d’insubmersible) où les passagers passaient devant elle dans les couloirs sans la remarquer, la bousculant parfois. Elle s’était fait l’impression d’appartenir au décor, de n’être qu’un meuble en plus à bord du Titanic. Un meuble capable tout de même de renseigner les plus perdus ou curieux, mais qui ne servait pas à grand chose pour eux une fois ces tâches accomplies. Cet état de fait avait plutôt arrangé la timidité maladive de Rosabelle, mais certainement pas son égo…
Depuis quelques mois, les gens commençaient à réaliser qu’elle n’était pas simplement une domestique, prête à accourir au premier claquement de doigts, mais une personne à part entière, faite de chair et d’os, capable de penser, d’aimer, qui avait des idées et pouvait les exprimer.

« Eh bien Monsieur Cream, je serai ravie de converser avec vous et de vous tenir un moment compagnie » finit-elle par se reprendre, croisant ses mains fines dans son dos en basculant légèrement d’avant en arrière sur ses pieds, comme l’aurait probablement fait une enfant en train d’amadouer l’un de ses parents… « Et je veux bien que nous oublions la bienséance pour vous laissez l’honneur de commencer les présentations » minauda encore la jeune femme en se parant d’un discret sourire qui vint illuminer son visage pâle.