1892 – 1897
Je suis née aux Etats-Unis, bien que je n’avais strictement aucun souvenir de cette période. Pourquoi ? Tout simplement parce que mes parents ont quitté le pays peu après ma naissance. Nous sommes venus vivre aux alentours de Londres dans une vieille maison. J’avais toujours peur qu’elle s’effondre sur nous. Nous n’étions pas riches, loin de là, pourtant, cela ne m’avait jamais vraiment dérangé. J’avais une famille aimante et un frère adorable, James, que j’ai perdu de vue aujourd’hui. Ma vie aurait pu continuer ainsi pendant longtemps, à vivre au jour le jour, à faire attention à l’argent et à me demander ce que je deviendrais. Mes parents sont morts dans un accident, bien que je n’avais pas vraiment conscience de ce que c’était, je savais que je ne les reverrais jamais. Mais j’avais mon grand frère, il était tout ce qui me restait et je voulais rester avec lui.
Pourtant, dans la vie, rien ne se déroulait jamais comme prévu. Avec incompréhension, nous avons été séparés. J’ai été mise dans une famille, ma propre famille, que je ne connaissais même pas. Pourquoi me mettre chez des inconnus ? Pourquoi être aussi cruel ? Je ne voulais pas quitter James mais je n’avais pas eu le choix, aucun de nous ne l’avait eu. Après avoir perdu mes parents, j’ai eu l’impression de perdre mon frère. J’étais bien installée au chaud dans une riche demeure alors que lui s’était retrouvé à la rue. L’unique réponse à ma question a été : « il est un adulte, et un adulte s’est se débrouiller. Il n’a pas besoin de personnes comme nous pour vivre. » Je m’en moquais bien en réalité. Les premiers temps furent difficiles, très difficiles. Je pleurais le soir dans mon lit bien qu’avec le temps, les larmes ont cessé de couler.
1897 – 1909
Les années ont passé, j’avais surmonté la mort de mes parents mais pas l’absence de mon tendre frère. Il venait souvent me voir même si ce n’était jamais suffisant pour moi. Il était le seul qui pouvait me comprendre, il était le seul à qui je pouvais me confier sans peur ni reproche. Nous avons grandi chacun de notre côté, dans un monde totalement différent mais cela n’avait en rien gâché notre lien. Ma famille adoptive m’apprit tant de choses qu’il serait difficile de leur en vouloir pour cette séparation. Etant une famille fortunée, elle m’a enseigné la littérature, l’écriture, la danse, le chant, les bonnes manières qui m’ont toujours ennuyé. Pour ma part, je trouvais inutile ce genre d’éducation sur le comportement à adopter en public. N’importe qui savait être courtois mais les riches exagéraient les choses et, personnellement, j’ai eu beaucoup de mal, moi qui avais vécu dans la simplicité. La tête haute, toujours faire bonne impression, autant dire que j’avais plongé dans l’inconnu, ne comprenant même pas ces nouvelles règles.
Je m’y suis faite. A force d’être dans le milieu, nous prenions le pire comme le meilleur. Je prenais exemple sur les adultes, ce que n’importe quel enfant faisait. J’ai fini par adopter ce nouveau monde et ces lois que j’avais tant critiquées et repoussées. J’étais considérée comme une princesse, une noble dame et j’aimais cela. Des jolies robes, être bien coiffée et sentir un bon parfum. J’avais douze ans, non, peut-être treize, quand j’eus mes premières règles. Douloureuses mais j’avais été préparée, sauf à ce que ma famille adoptive me présente un riche héritier. Il n’avait pas fallu grand chose pour qu’elle me considère comme une femme prête à trouver un époux. J’étais trop jeune, cependant, c’était l’occasion de faire quelque chose de ma vie, quelque chose de concret. Me marier et fonder une famille, pouvoir élever des enfants dans de bonnes conditions, c’était tout ce que dont une femme pouvait rêver.
Il s’appelait Charles De Lacour, héritier d’une riche famille française. Il avait cinq ans de plus que moi mais j’étais devenue une jeune fille cultivée, intelligente et brillante. Peut-être un peu trop gâtée et obtenant toujours tout ce que je désirais. Je savais m’y faire. Il était un homme généreux, charmant, aux petits soins avec moi. Autant dire que, même si le mariage m’avait fait peur au début, j’avais accepté ce choix. Après tout, j’étais jeune et rien ne m’empêchait de pouvoir, un jour, trouver l’amour quelque part. Charles, je lui portais une grande affection mais je ne l’aimais pas, contrairement à ses sentiments envers moi. Sans doute le savait-il, mais jamais je ne lui en avais fait part.
En ce temps-là, je voyais encore mon frère aîné, que peu souvent cependant. Il me manquait et je me demandais si ce monde dans lequel j’avais grandi compensait maladroitement son absence. J’avais la sensation que cette richesse, ces bijoux et autres cadeaux comblaient un vide en moi. Pourtant, j’aimais ma condition, le fait de pouvoir avoir tout ce dont j’avais toujours eu envie, de me faire plaisir, de vivre comme je n’aurais pas pu si…mes parents étaient toujours là. Je ne les blâmais pas, loin de là. J’étais dans mon monde, dans ma petite bulle et je pensais que toute ma vie serait ainsi, à tort. Je n’ai appris certaines choses que plus tard.
J’ai épousé Charles et malgré cette nouvelle vie qui s’offrait à moi, quelque chose se brisa. J’ai perdu le contact avec James. Mon époux étant français, j’étais partie vivre avec lui dans sa noble demeure en France.
1909 – 1912
Paris ! Oh Paris!
Elle était et resterait à jamais la plus belle ville de ce monde. Si grandiose, majestueuse et lumineuse. Ville de lumières et de grands luxes. Elle était réputée pour sa haute couture que j’admirais. Aujourd’hui, j’avais la chance de pouvoir voir tout cela de mes propres yeux. De plus, je n’avais pas la barrière de la langue. Ma famille adoptive m’avait enseigné le français et je le parlais couramment, et assez correctement malgré mon accent américain. D’ailleurs, je trouvais que c’était une très belle langue, cela me plaisait de la parler et d’avoir des conversations avec ma nouvelle patrie. Je m’étais bien adaptée en France. Les épouses des amis de mon mari m’avaient pris sous leurs ailes pour me faire découvrir la ville et la richesse du pays pendant que Charles était dans ses affaires. Il travaillait avec son père, homme d’affaires étant devenu riche grâce à l’acier. Son fils était amené à reprendre l’entreprise en main et à hériter des millions de sa famille.
Cependant, tandis que mon beau-père était un homme assez arrogant et égocentrique, son fils, lui, était tout le contraire. Simple, aimant et attentionné. Il savait mener ses affaires à la baguette mais à côté de cela, en tant qu’époux, il n’y avait pas de reproche à faire. Il m’offrait des nouveaux bijoux, des belles robes, même s’il s’agissait d’un coup de tête de ma part en regardant la vitrine d’un grand magasin. Charles ne criait pas sa fortune sur tous les toits mais notre façon de vivre et son nom en disaient long sur notre condition plus qu’aisée. Il m’avait même promis des voyages en Angleterre afin de revoir mon frère, ou même de lui offrir le voyage afin qu’il puisse venir. Cela ne s’était finalement jamais fait et j’avais la terrible sensation que je ne le reverrais plus jamais. Il n’avait même pas été présent à mon mariage. Non, cela n’avait pas été de son fait. Mes beaux-parents n’avaient pas voulu de « clodo » durant le mariage, une personne n’ayant pas sa place parmi nous. J’ignorais encore pourquoi j’avais finalement accepté de me marier dans ces conditions. Il m’avait manqué ce jour-là, et tous les jours suivants depuis.
J’avais dix-neuf ans quand je découvris que j’étais enceinte. C’était à la fois effrayant mais excitant. Je n’aimais pas mon mari, pourtant, cet événement, ce petit être qui allait vivre parmi nous pourrait changer les choses. Nous rendre plus intimes, plus proches. J’avais accueilli cette nouvelle avec fierté et bonheur, trouvant rapidement un prénom féminin comme masculin. Cet enfant n’allait manquer de rien, il serait choyé et j’apprendrais à être une bonne mère. Ce fut durant cette période que j’ai compris que la richesse ne faisait pas le bonheur, que l’or et les diamants n’étaient que superficiels face aux réels sentiments. Je m’étais pavanée dans une garde-robe de haute couture, sortant mes plus beaux bijoux afin de me montrer en public. J’avais, à de nombreuses reprises, fait céder mon époux sur un objet x ou y d’une grande valeur uniquement par mes beaux yeux. J’avais cru pouvoir vivre ainsi pendant longtemps, pensant que rien ne m’atteindrait réellement, même si j’avais ce vide dû à l’absence de mon frère. J’avais été dans une bulle, voulant toujours plus, pensant que tout serait éternel. Pourtant, porter cet enfant et le perdre trois mois après m’avaient ouvert les yeux. Les médecins n’avaient pas compris, et moi non plus.
Dès lors, les cadeaux de Charles m’avaient paru fades face à la vie achevée de cet enfant. Il avait bien essayé de me remonter le moral, de faire en sorte que je m’en remettre mais ses présents n’avaient aucun effet. Le plus beau des cadeaux que j’avais pu avoir, avait été de porter cet enfant. Cela, c’était de l’or, c’était la véritable richesse d’une personne. Nous avions beau pouvoir avoir tout ce que nous voulions, ce n’était que matériel, rien de plus. Cela n’avait rien de concret et de sentimental. Je m’étais sentie soudainement très égoïste et terriblement malheureuse. Tout ce dont j’avais besoin, c’était de voir James. Mais Charles m’avait rapidement informé qu’il ignorait où il se trouvait. Etait-ce vrai ou non ? Je ne le saurais jamais. Notre couple a commencé à battre de l’aile. Tout alla de travers et Charles me proposa un voyage afin de se ressourcer.
Un voyage ? J’avais toujours aimé les voyages, pouvoir rencontrer d’autres cultures, découvrir d’autres horizons. Sa famille détenait une propriété en Pennsylvanie, proche du lac Erie. Une demeure loin des villes et de la foule. Charles était déterminé à tout faire pour sauver notre couple, désespérément amoureux de moi. Alors que moi, je voulais le quitter pour trouver mon véritable amour. Le problème serait que je perdrais ma confortable position sociale. Je savais que Charles n’hésiterait pas à me laisser une bonne part de sa fortune mais ses parents étaient toujours présents, et c’étaient eux qui géraient le tout de la richesse familiale. Sur comme de l’eau de roche qu’ils ne voudraient rien du tout me laisser. Charles avait toujours été bon pour moi, alors j’avais accepté ce voyage.
10 Avril 1912 – Cherbourg
Le Titanic. Mon époux avait prévu le trajet sur le plus grand paquebot jamais construit, et en 1ère classe bien entendu. De l’extérieur, il était un monstre éblouissant. J’étais impressionnée, totalement impressionnée de voir ce que l’Homme était capable de faire. J’étais montée à bord avec le sourire d’une enfant. Il était d’une beauté sans égale. Il était difficile de le décrire, il fallait le voir pour comprendre. Quand le paquebot prit la mer, je me sentis revivre. L’océan à perte de vue. Nous étions au milieu de nulle part et c’était une expérience magnifique à vivre. Durant les jours qui suivirent, autant le dire, cela n’arrangea pas tout, mais nous soufflions un air nouveau et je savais que cela nous faisait du bien à tous les deux.
14 Avril 1912 – La nuit du naufrage
Je dormais quand le paquebot a percuté l’iceberg. A ce moment-là, personne ne savait ce qui s’était vraiment passé. Charles était parti se renseigner mais il n’avait pu avoir aucune information. Cependant, peu de temps après, aux alentours de minuit, les membres de l’équipage nous ont demandé de mettre les gilets de sauvetage et d’attendre dans le grand hall. Beaucoup de passagers se posaient des questions et face à toute cette cohue, Charles avait décidé de m’éloigner pour avoir plus de tranquillités. Voyant que rien ne bougeait, il m’avait demandé de regagner notre cabinet et qu’il viendrait me chercher quand il saurait enfin ce qui se passait. Ce qu’il fit une heure plus tard. Les canots commençaient à être chargés et il voulait que je monte dans l’un d’eux. J’ai refusé, ne voulant pas le laisser ici et surtout, effrayée, ne voulant pas me retrouver seule. J’avais peur, j’ai senti la panique m’envahir au fur et à mesure. Cependant, si nous avions su qu’il n’y avait que la moitié, et encore, des passagers qui pouvaient monter dans ces canots, sans doute qu’il m’y aurait jeté de force. Au lieu de cela, nous avions attendu, pensant pouvoir en prendre un ensemble quand la grande majorité des femmes et des enfants de la 1ère Classe seraient montées. En vain.
La panique a fini par envahir les passagers. Des hommes ont tenté des passages de force dans les canots et des coups de feu ont été tirés. Désormais, c’était chacun pour soi et il était trop tard pour les canots. Le Titanic était en train de sombrer au fond de l’océan avec plus de la moitié de ses passagers.
-Charles…je sais que je vous ai fait beaucoup endurer. Vous ne méritiez pas cela. Je suis vraiment désolée.Je n’avais pas toujours été une épouse parfaite, je le savais et je voulais qu’il sache à quel point j’en étais navrée. Il prit alors ma tête entre mes mains.
-Peu importe Céleste, je vous aimerai toujours. Et si nous devons mourir, alors nous mourrons ensemble.Il me donna un dernier baiser et contrairement à ces dires, nous n’étions pas morts ensemble. Dans la folie qui s’était emparée des passagers, nous avions été séparés. Certains marchaient sur les autres tombés au sol, d’autres se poussaient ou sautaient à la mer. Quand le paquebot se dressa, j’ai lâché prise, tombant dans l’eau glaciale. J’ai vu le Titanic se briser en deux. Je l’ai vu sombrer dans l’océan, emportant avec lui ceux restant accrochés dessus. J’ai entendu ces hurlements, ces passagers suppliant les canots de revenir. C’était un cauchemar. J’ai appelé Charles, espérant le revoir, le retrouver. Au final, je suis morte seule au milieu de l’océan.
14 Avril 1912 – Après le naufrage
Alors là, je ne savais pas quoi penser. J’étais en vie, et pourtant, j’étais morte. C’était à ne rien y comprendre. Bizarrement, cela ne m’effraya pas. Le Titanic était tel qu’il était avant l’impact, ainsi que les passagers morts durant le naufrage, un grand nombre d’entre-eux. Cependant, un détail me perturba : Charles. Avait-il survécu ? Je l’avais cherché, espérant qu’il ai pu survivre à tout cela. Cependant, je le revis. Il était là, sur le paquebot. Etait-ce pour nous une nouvelle chance ? Pouvions-nous sauver notre mariage ? Mort ou pas, la tension entre nous restait la même et le voyage s’achevait tout comme il ne se terminerait jamais : bah oui, condamnés à rester sur le Titanic sans pour autant atteindre New-York.
Durant un long moment, nous nous étions considérés comme des étrangers, ignorant comment agir face à cette nouvelle condition. Pouvions-nous vraiment tenter une réparation ou était-ce préférable de se séparer ? Autant dire que rien n’avait été facile depuis notre mort. Pourtant, cela ne gâchait en rien ma vie sur le paquebot. Je m’étais vite habituée, même si cela restait étrange. J’ai fait la connaissance d’une petite fille qui avait perdu sa mère, je m’en suis occupée comme la mienne en attendant de la retrouver. Je n’avais pas pu la laisser toute seule, ne comprenant pas ce qui lui arrivait. Et puis, beaucoup de choses se sont déroulées : le Capitaine, des événements étranges et troublants. D’ailleurs, à chaque fois que ce Capitaine passait, un truc bizarre survenait. Je ne l’aimais pas et je me méfiais de lui. Ensuite, il y a eu les revenants. Ah les revenants. Ils me fascinent. Nous avions tant de choses à apprendre de leur part. Étant curieuse et avide de découvertes, j’aimais entendre leurs récits et apprendre de leurs expériences.
Cependant, l’événement le plus bizarre fut l’île. Une île, plantée là au milieu de nulle part. Était-ce encore un piège de notre Capitaine ? Pourtant, revoir la terre ferme et y remettre les pieds fut un réel plaisir. De plus, cela donna à Charles l’occasion de relancer la conversation sur le fait de tout redémarrer et vivre au village ? Et le Titanic ? Je l’aimais ce paquebot. Quitte à choisir, sans doute que je préférerais rester sur cette légende.