La soirée s'annonçait mémorable et romantique à souhait. Mon coeur battait de ces pulsations tendres et irrégulières que seul l'amour connaît, que seul l'amour procure, que je n'avais éprouvé qu'une fois, une seule fois. L'amour pur et véritable pouvait-il frapper deux fois à ma porte, diffusant sa lumière bienveillante et chaleureuse sur mon âme dévastée depuis le naufrage du Titanic ? La tendresse d'un sentiment, la douceur d'un sourire, mes lèvres chaudes posées comme du miel sur la bouche féminine et suave de celle que j'allais aimer le temps d'une soirée, instant délicieux d'éternité, dans une jolie pièce fragilement et légèrement illuminée par de jolies chandelles. J'aimais à nouveau. Mon coeur s'était remis à battre, doucement pour commencer, réapprenant à fonctionner, presque mécaniquement. L'amour avait ressurgi, passionné, enthousiasmant, balayant tout le reste. Mes inquiétudes, ma solitude et ma mélancolie s'étaient envolées. Je n'aurais pas cru cela possible mais elles m'avaient bien quitté, ces acides pensées, me libérant du souvenir idéalisé de Juliet. Je ne vivais plus dans le passé, triste et malheureuse moitié d'un binôme séparé tragiquement.
Je m'approchais de la bouteille de parfum posée sur la table de chevet à laquelle je n'avais pas touché depuis le drame. J'avais bien essayé plusieurs fois de la tenir dans ma main, laissant échapper quelque effluve, afin d'en reproduire tous les émouvants souvenirs. Juliet me l'avait offerte avant le départ et j'aurais ressenti comme une trahison le désir de m'en imprégner pour quelque rendez-vous amoureux. Mais de rencontres sentimentales, il n'y en eut point jusqu'à ce soir-là où Mathilde me proposa de dîner en sa compagnie et que je déclinais poliment. Je ne l'avais jamais croisé de mon vivant, je devais l'aimer bien après ma mort. Je cachais ce sentiment en moi comme une menace pendant de longs mois. Il était temps, oui, le moment était enfin survenu de me laisser une chance, une opportunité de bonheur à deux. L'occasion de fêter la Saint-Valentin à bord du Titanic s'offrit à moi et j'invitais cette jeune femme délicieuse à dîner en ma compagnie dans la salle des Amoureux. Mon coeur se serra à la pensée que je n'avais pas eu le temps d'y amener Juliet mais alors, y aller avec une autre m'aurait été chose impossible.
J'avais pris grand soin de mon corps pour l'occasion, l'avais lavé, recouvert d'une senteur agréablement musquée puis m'étais rasé de près. Mon choix s'était arrêté sobrement sur un pantalon noir et une chemise en coton bleue assortie à mes yeux clairs. J'avais rejeté en arrière mes cheveux noirs, les enveloppant d'un voile de parfum, de celui que m'avait offert Juliet et qui me donna le courage de sortir de ma cabine afin d'aller au-devant de Mathilde pour une soirée très romantique. Juliet me donnerait la force. Le parfum m'aiderait à embrumer mes pensées pour me laisser aller à la magie d'une telle soirée. Je me refusais d'être en retard à notre premier tête à tête amoureux et je me hâtais de rejoindre Mathilde.Elle était là, à m'attendre devant la salle des amoureux. Je lui adressai un sourire fait de miel et de douces espérances .
- Mathilde, bonsoir. Vous êtes superbe, ce soir.
Puis, sans rien ajouter, ma main droite se saisit de la poignée de la porte du paradis, l'ouvrit puis m'y engouffrai, seul.