♦ Que pensez-vous de cette île mystérieuse? Je ne sais pas vraiment quoi en penser, les péripéties se sont enchaînées depuis que je suis revenues après ma mort à bord de ce paquebot. Il ne serait pas étonnant qu'il s'agisse d'une ruse du capitaine pour se divertir. Et puis au final voir autre chose que cette éternelle étendue d'eau me soulage, cela fait déjà trop longtemps que je n'ai pas vu la terre et surtout que je ne l'ai pas foulée. Malgré cela, le bref enthousiasme qui me fait vibrer je craint que cette escale bouleverse totalement notre voyage.

♦ Que pensez vous des Revenants? Sont-ils des êtres comme vous où sont-ils malfaisants? Je dois dire qu'il m'intrigue, ils ont connus d'autres choses, un autre monde et ont pu oublier le naufrage pour finalement être de nouveau emprisonnés sur ce paquebot qui a du les hanter toute leur vie. Pourtant je ne ressent aucune compassion, ce n'est pas vraiment dans ma nature, je me dis juste qu'au final on est tous dans le même bateau et ils n'ont pas l'air plus méchant qu'un autre, bien qu'ils aient quelques fois perdu le véritable sens des convenances.

♦ Que pensez-vous du Capitaine? Est-il une menace pour vous ou une personne fascinante? A vrai dire il me fatigue avec son enthousiasme hors norme et ses lubies étranges, il n'a vraiment rien de rassurant. Et puis cette idée incongrue de laisser les secondes et troisièmes classes se mêler aux premières me fait sortir de mes gonds. Mort ou pas je pense que chacun devrait rester à sa place, ce qu'évidemment le capitaine ne fait pas. Je tente de l'éviter au mieux afin que ma vie ( enfin mon trépas ) ne soit pas bouleversée d'avantage.

♦ Si tu avez la possibilité de quitter le Titanic ou l'île pour réellement mourir, le feriez-vous? Pourquoi? Les premières semaines ont été ardues, hors norme à vrai dire, mais même si une certaine monotonie c'est installée, le Titanic est un paquebot de rêve et y vivre une éternelle jeunesse n'est pas quelque chose que l'on peut refuser. C'est pourquoi je ne risque pas d'aller chercher une mort qui serait à mon avis fort douloureuse et inutile. Après tout je suis déjà morte une fois, je crois que j'ai le droit de profiter de mon petit paradis à moi.

 

27 septembre 1892

Cher Journal,
Aujourd'hui c'est mon septième anniversaire et papa m'a offert ce superbe journal ou je pourrais raconter toutes les choses qui me tiennent à cœur. Pour fêter l'événement il a paré notre demeure de dizaines de fleurs, celle que j'aime et qui dégage une délicate odeur sucré, oh mais tu ne peux pas deviner toi. Je ne me souviens plus de son nom, mais ses pétales sont douces comme du velours, elle ont parfois la couleur épurée d'une aube frémissante où le rose presque acide de certaines robes qu'on refuse de me laisser porter. Maman n'était pas là elle, je suis déçue qu'elle n'ai pas pu me voir danser sur la musique de Mozart, des pas sautillant et légers, les mêmes qu'elle avait pu m'apprendre afin de quitter ce monde. Tu sais avoir sept ans ce n'est pas tout les jours faciles, c'est ma nourrice qui prend soin de moi chaque jour que dieu fait et quand papa rentre de ces affaires, qu'il en a fini avec ses étranges histoires de bourses et de fluctuations auquel je ne comprends rien, il se pose dans le salon, un cigare entre les lèvres et un grand verre de scotch sur la table. Je ne lui en veut pas tu sais, j'ai tout ce que je veux et je peux gambader à volonté dans l'immense maison que nous possédons. Pourtant j'aimerais pouvoir connaître d'autres enfants parfois, je ne vois que mon précepteur et ma professeur de musique et quand enfin j'ai fini mes leçons je suis obligée de rester dans le jardin. Tu sais mon journal je n'ai pas grand chose à raconter, juste des aventures extraordinaires que j'invente, parfois je suis chercheuse d'or et d'autres fois une grande journaliste. Ce que j'aimerais être journaliste, mais on raconte que ce n'est pas vraiment convenable pour une femme comme moi. Je ne veux pas être une dame, juste une enfant normal.

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14 avril 1899

Cher Journal,
Aujourd'hui pour la première fois on m'emmène à un dîner d'affaire, j'ai revêtu une robe de soie bleue parée de quelques dentelles noires. Quand j'observe mon reflet dans le miroir j'oublie presque la petite fille que j'ai pu être, aujourd'hui je suis presque une femme et il paraît que je pourrais dans un futur proche attiser la convoitise de bien des hommes. Pourtant quand je regarde par la fenêtre les orchidées qui peu à peu éclose, la lumière tamisée du soleil qui descend derrière l'horizon, je ressens une étrange mélancolie. Ma mère me manque tellement, elle et son rire délicate, je me souviens de plus en plus difficilement de son visage et de sa voix, pourtant je lutte pour ne pas l'oublier, et parfois j'aimerais pouvoir lui demander comment devenir une vraie femme. Père a commencé à me parler de mariage, une grande union qui ferait fleurir d'avantage encore la famille, une union avec à la clé une place haut placée dans la société. A vrai dire je suis terrifiée, j'ai peur d'oublier les bonnes manières ou de faire un pas de travers. On m'a forcé à attacher mes cheveux après les avoir brossé pendant de longues minutes, attaché un pendentif autour du cou, et fait rosir mes pommettes. On m'a fait promettre de ne pas oublier la courtoisie et ne pas parler de mes lubies à propos du journalisme. On m'a finalement fait juré de ne pas être moi !

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15 avril 1899

Cher Journal,
Je crois que si je n'ai pas écrit hier c'est parce que mes larmes avaient trop coulés. J'ai tout fait de travers, malheureusement et le courroux qui habitait mon père aurait presque pu être un châtiment divin. Pourtant tout avait parfaitement commencé, j'étais charmante, superbe et fraîche d'après les invités. J'appréciais les regards flatteurs que l'on posait sur moi et puis j'avais fini par sortir de mon mutisme, j'avais laissé apparaître la jeune fille nature que je pouvais être. Ce regard noir de la part des invités, mais ce rire de Tobias, un rire cristallin qui vous fait frisonner. Je crois que c'est la seule chose positive de la soirée, Tobias et ces étranges yeux verts, Tobias et ses questions loufoques. Un promis qui fait vibrer mon cœur, certes, mais sa famille n'a guère apprécié mes manières. Trop sauvage pour certains, pas assez discrète pour d'autres. Un échec de plus dont je suis responsable. Mais journal, je le sais au fond de moi que c'est Tobias que j'épouserais, je le sais mieux que quiconque et bien mieux que père, mère ou Dieu.

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06 mars 1905

Cher Journal,
Je crois que je t'ai oublié, je t'ai laissé prendre la poussière au fond d'un tiroir, oubliant les mots que j'avais pu écrire et t'oubliant toi tout simplement. Je suis revenue à toi aujourd'hui, parée de noir et de larmes pour partager mon deuil et réveiller des souvenirs. Mon père est mort, après avoir souffert dans la maladie une année durant, après m'avoir encouragé à réaliser mes rêves, il a trépassé, léguant tout à mon mari, Tobias. Tu vois j'ai fini par l'épouser, par accomplir cette envie malgré les obstacles qui avaient pu se présenter. Un bonheur, un malheur, je ne peux le savoir malheureusement. J'écris désormais, en cachette, j'ai toujours peur de la réaction qu'il pourrait avoir. Tu sais il était charmant au début, délicat et puis il y a eu l'argent et parfois la luxure, les maîtresses sans doute. Et le pire est arrivé, l'alcool, l'alcool et ses lourds dégâts, ses grosses colères. Malgré tout cela je mène une vie presque paisible, j'évite mon mari et profite de son argent, disparaissant de temps à autres pour arpenter les rues de Londres et acheter les plus belles parures. Presque une vie de princesse. Presque.

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10 avril 1912

Cher Journal,
Encore sept ans d'écoulé, sept ans où j'ai supporté Tobias, ou j'ai vécu la vie mondaine d'une Lady, écouté les ragots, savourer le luxe et aujourd'hui c'est le voyage, un voyage extraordinaire : le Titanic. L'embarquement est pour dans quelques heures et pour la première fois je retrouve l'excitation que j'éprouvais dans les folles aventures de mon enfance. L'Amérique nous promet un nouveau départ. Je crois qu'il est temps de partir.

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15 avril 1912

Cher Journal,
Je ne comprends pas, je me souviens des cris, de l'eau gelée envahissant les compartiments, de la panique et des fusées de détresse dans le ciel. Je me souviens de la confusion général, d'une peur lacérante qui me vrillait tout le corps, une peur douloureuse et violente. Et puis plus rien, juste le froid qui s'engouffre en mois et cette sensation glaciale. Je ne sais pas si c'était un cauchemar, je ne crois pas, tout était si réel, si difficile. Pourtant je me suis réveillée, ici, à bord du Titanic, je ne sais pas ce qui se passe, mais je crois que j'ai peur.

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Mars 1913

Cher Journal,
J'ai oublié de compter les jours, je ne veux plus les compter. Un an et demi à bord du Titanic, un an et demi que je suis morte et un an et demi de péripéties. Au début j'ai cru au paradis, un paquebot de rêve et une jeunesse éternelle, et puis j'ai vu Tobias, Tobias qui avait aussi succombé et j'ai su que dans mon paradis il n'existerait pas. Finalement tout a basculé, les mélanges de classes, les grands bals et le luxe. Et puis il y a eu le capitaine et ses idées étranges, ses idées morbides. Je n'ai pas voulu participer à la boîte des désirs, je n'ai pas voulu m'inquiéter pour les morts, en revanche cette île m'apparaît aujourd'hui comme une menace. Le Titanic ce n'est plus vraiment le paradis.