Ton Histoire

 

La voir arriver dans mes quartiers me donnait un très mauvais pressentiment. Elle portait sa robe rouge et lorsqu'elle portait sa robe rouge, cela voulait dire qu'elle avait une annonce importante à me faire parvenir. A force, je connaissais bien les habitudes de ma sœur et elle le savait très bien elle même. Elle finit par faire irruption dans le salon alors que je m'apprêtait à boire ma première gorgée de thé, m'adressant un sourire qui voulait tout dire. Elle était toujours taquine à mon égard parce que je marchais tout le temps. Elle s'installa sur le fauteuil en face du mien et déposa son ombrelle à côté.
« Il fait plutôt gris à l'extérieur pour porter une ombrelle » fis-je remarquer en goûtant enfin au thé qui m'était destiné.
Elle échappa un rictus avant de balayer les mèches de cheveux qui lui barraient le visage. Les femmes avaient toujours des coiffes très gênante et imposantes et ma sœur n'y faisait pas exception.
« Tais toi petit frère, j'ai une surprise pour toi! »

Je manquai de m'étrangler avec mon thé à cette annonce. Mes trente ans allaient bientôt pointer le bout de leur nez et j'aurais dû me douter qu'elle n'allait pas échapper à l'occasion de me le faire garder en mémoire pour rendre le chose « inoubliaaable ! » Je la vis fouiller dans son petit sac et sortir deux billets. Intrigué, je plissai des yeux en me demandant ce qu'elle m'avait réservée et elle fit un air enchanté en remarquant ma curiosité.
« Ce sont deux places pour une croisière, idiot! »
- En seconde classe? M'étonnai-je. Avec tout l'argent que tu as?
Elle grimaça et me donna un coup avec les billets.
« C'est parce qu'il y en avait plus en première classe! Je t'emmène en Amérique, je pense que ça te fera changer un peu de l'air britannique. Tu en as bien besoin. »
- Je n'en ai absolument pas besoin.
Elle me foudroya du regard et je haussai les sourcils en continuant de boire ma tasse bien qu'il n'y avait plus une goutte de thé à l'intérieur.  Je finis par poser l'objet en porcelaine sur le petit plateau qui reposait sagement sur la table basse qui me séparait de ma sœur et son air exaspéré.
- De toute manière tu n'as pas le choix, c'est comme ça, un point c'est tout!
« J'ai des affaires qui me retiennent ici, tu prendras quelqu'un d'autre. Pourquoi tu n'y vas pas avec Harold, c'est ton mari après tout. »
- Mon EX mari, et puis non, tu n'as aucune affaire en cours, j'ai pris le soin de me renseigner.
Je soupirai en levant les yeux et en marmonnant dans ma barbe pour maudire la terre entière. Je finis par me lever et me diriger vers la fenêtre et le silence qui s'installa voulu tout dire. Après de nombreuses minutes sans qu'aucun de nous deux ne parle, je finis par me jeter à l'eau.
« Très bien, je viendrais. »
J'entendis un gémissement surexcité qui traduisit l'enthousiasme de ma sœur. Elle se leva, reprit son ombrelle, me souhaita bonne journée et disparut du salon. Je venais là de prendre la pire décision de ma vie.

Je suis né un 12mai à Munich, une ville située au sud de l'Allemagne, d'un père juif allemand et d'une mère anglaise s'étant reconvertie dans le judaïsme peu avant son mariage. Peu avant ma naissance est arrivée mon unique sœur, Hannah. Elle a toujours été une sœur très attentive à mon égard mais complètement à mon opposé ce qui nous a valu plusieurs conflits. En fait, je dirais même qu'à chaque fois que l'on se trouvait dans la même pièce, à un moment donné, ça tournait au vinaigre. Ma sœur adorait m'enquiquiner, à trouver quelque chose pour me titiller et éveiller mes nerfs. On s'était déjà fâché jusqu'à se taper dessus, rouler en boule sur le sol et s'arracher les cheveux. Mais au fond, je l'aimais bien, c'était ma grande sœur après tout et elle avait fait brillamment son rôle. Contrairement à moi, elle était très tournée vers les décision de mon père. Mon père était médecin, de père en fils. Il s'attendait donc à ce que moi, son seul et unique fils, prenne la relève de son cabinet. Sauf qu'il en a toujours été hors de question. Je n'avais pas l'âme d'un médecin et je le fis rapidement savoir. Un fossé se creusa dès lors avec lui et il n'était rare de l'entendre se disputer lui et moi, matin midi et soir. Je voyais bien là qu'en prenant une fois qu'il jugeait ne pas m'être destinée le décevait incroyablement. Sauf que je ne voulais pas qu'il fasse de moi quelqu'un que je n'étais pas, jusqu'à me renfermer totalement. Vint un jour où nous nous adressions plus la parole. Les repas en famille se faisait en silence. Seules ma soeur et ma mère essayait de mettre de la conversation et si il nous arrivait d'exprimer quelques mots, soit ça se terminer dans le même silence qu'au commencement, soit dans une gigantesque dispute jusqu'à ce que je me fasse chasser de la maison.
Mon enfance n'a pas été facile, comme vous devez sans doute vous imaginez. Mon père m'a toujurs emmener dans son cabinet pour que je puisse observer le « futur métier qui m'étais décerné » et plus j'y aillais, plus j'en étais dégoûté. Ma mère était partagée entre mon père et moi. Elle me comprenait mais elle n'arrivait pas à aller au delà des décisions de mon père. Normal, c'était une femme et les femmes n'avaient pas le droit d'aller à l'encontre du mari. Quand mon père décida de confier sa fille à un homme de la haute bourgeoisie, elle n'eut pas d'autre choix que d'accepter. Elle finit par l'aimer mais leur mariage s'était avéré être un échec cuisant et le divorce fut prononcer sept ans plus tard. Quant à moi, j'avais trouvé ma voie près de la police où je développai mes talents de détectives. Expert en capture d'information, j'avais fini par me faire une petite vie là dedans. Je gagnai convenablement ma vie – de toute manière mon père refusait de m'aider financièrement (bien qu'il le ferait quand même si il y avait cas d'urgence – et je ne me plaignais jamais. D'ailleurs, pour échapper à la pression familiale, j'avais décidé de m'installer à Londres, lieu de naissance de ma mère. J'y avais même rencontré de la famille, même si nos différences étaient telles que l'on ne se voyait pas au final. Ma sœur me rendait visite de temps en temps, notamment pour me présenter ses deux passes pour le Titanic afin de m'offrir un voyage en Amérique. Voyage que j'avais accepté malgré moi, plus pour lui faire plaisir à elle qu'à moi même.



Le 10 avril 1912, nous embarquions à bord du paquebot, un mois avant mes trente ans. Nous prenions place dans notre cabine et nous nous étions séparé pour découvrir les environs. Lorsque nous nous retrouvâmes, elle ne manqua pas de me demander mon avis.
- Alors jeune homme?
- Ouais... ça va. J'aime bien.
Elle leva les yeux au ciel. Hannah savait que je n'étais pas du genre à exprimer vivement mes  sentiments. De toute manière, je n'étais pas du genre à m'extasier devant les choses. Je ne montrais de l'enthousiasme que lorsque j'avais de quoi m'occuper, if you know what I mean.
- Qui sait, peut être qu'en Amérique tu te trouveras quelqu'un.
Mes yeux se posèrent sur elle et je fronçai les sourcils. Je voyais bien là où elle voulait en venir. Pour dire vrai, je n'avais jamais eu de vraies relations amoureuses, trop préoccupé par le travail et autres problèmes (familiaux) qui s'y ajoutait. Hannah avait toujours trouvé cela dommage que je n'eusse jamais eu « la chance » de profiter des petites joies de la vie, me rappelant souvent qu'on en avait qu'une et qu'il fallait la savourer.  
- Tu sais, je m'en moque, soupirai-je.
« Oui je sais.. et c'est bien dommage! Célibataire et sans enfant à ton âge, quand même! »
Je ne répondis rien. Ma sœur était stérile et son rêve d'enfanter un jour était impossible. Pourtant direct et franc d'habitude, je préférais me taire sur ce sujet, parce que je savais qu'elle y était incroyablement sensible. Elle me jalousait aussi, parce que moi je pouvais, sauf que je n'en avais pas envie. Si seulement nous avions pu inverser...
Les premiers jours du voyage se passèrent bien. Ma sœur avait déjà fait de nombreuses rencontres, parce que contrairement à moi, c'était quelqu'un de très sociable. Quant à moi, je n'avais adressé la parole qu'à une poignée de personne, préférant rester volontairement dans l'ombre d'Hannah et observer les gens discrètement. Je préférais écouter plutôt que parler, parce qu'on apprenait toujours plus de chose ainsi. J'étais perçu comme quelqu'un d'atypique, en dehors de la normalité et je ne m'en plaignait pas, trouvant ce jugement plutôt juste.
Puis vint ce fameux jours. Celui où les choses ne se passèrent pas comme prévu et qui causa la perte à beaucoup d'entre nous. Les gens étaient complètement affolé, ça allait de partout et ma soeur et moi avions fini par nous diriger vers notre cabine.
- Je récapitule : Le bateau est en train de couler et la meilleure idée que l'on ait jamais eue est de nous diriger vers notre cabine. J'admire ton sens de la logique grande sœur.
Elle éclata de rire puis posa ses mains sur mes joues et m'embrassa. Surpris par cette initiative, je reculai brusquement et elle m'envoya une gifle.
- D'abord tu m'embrasse et ensuite tu me baffes?
- C'est parce qu'on va mourir et que je n'ai pas pu te sauver. Je voulais seulement t'adresser un dernier geste d'amour.
- En me baffant?
- Ça, c'est parce que je suis complètement affolée!
Seule l'eau qui s'engouffrait dans la pièce rompait le silence qui s'installa.
- Je n'ai pas pu te sauver non plus.
« Oh s'il te plait, tais toi. C'est moi l'ainée, c'est ta vie la plus importante! »
- Tu dis n'importe quoi! Je...
Elle plaqua sa main sur ma bouche pour me faire taire.
« On ne va pas se disputer maintenant! »
Je me tus alors. Hannah s'engouffra dans mes bras et je la sentis pleurer. Quant à moi.. je ne savais pas trop. Je savais que j'allais perdre la vie. Tous les canots de sauvetage avaient été expulsés et nous nous étions retrouvés piégés à notre étage. On ne pouvait qu'accepter le sort qui nous avaient été réservé. Je n'avais jamais eu peur de la mort et à quelques minutes près, je ne savais pas encore comment réagir vis à vis de cela. L'eau avait augmenté et nous arrivait désormais jusqu'aux épaules. Il fallait quand même que je dise quelque chose avant d'être totalement submergés.
- Hannah?
« Quoi? »
- Merci ce superbe cadeau d'anniversaire. J'aurais bien aimé te dire que je te le revaudrais un jour, mais en vue des circonstances...
Elle rit.
« Tu me surprendras toujours petit frère. Même à quelques minutes de la mort, tu trouve le moyen d'être comique. »
- Bin quoi?
« Rien. La ferme. Je t'aime petit imbécile. »
Et.. voilà. Ce fut les derniers souvenirs que j'eus de ma vie. Le reste devenait flou, sans doute parce que l'asphyxie m'avait fait perdre la conscience. Je ne sais pas combien de temps il m'a fallu jusqu'à ce que sois déclaré comme mort. Jusqu'à ce que mon cadavre sans vie coule dans l'eau. Mais lorsque je me réveillai, parce que oui, je m'étais réveillée, il n'y avait plus d'eau. Il n'y avait plus non plus de sœur. Si je n'ai pas repris conscience à l'infirmerie, lorsque j'avais ré-ouvert les yeux, je me suis rendu compte que je me trouvai dans la cabine où j'avais trouvé la mort. Plutôt sonné au début, j'avais fini par retrouver la civilisation (si on pouvait appeler ça comme ça) le « lendemain ». En fait, je n'ai jamais su expliquer ce qu'il s'était passé et aujourd'hui encore, je ne le pouvais toujours pas. C'était assez perturbant de se demander ce qu'on faisait là, pourquoi, ce qu'il s'était passé et si on était pas dans un cauchemar. D'autant plus que je ne parvenais pas à trouver Hannah, ce qui était encore plus inquiétant. Mais voilà, je n'avais d'autres choix que d'accepter ce qu'il se passait, bien que cela demeurait plus qu'étrange. Je ne pouvais pas faire autrement, de toute manière.
Les journées défilaient et rien ne se passaient. Et lorsque des choses se passaient, rien ne m'importait. J'avais l'impression d'être une âme en peine, ce qui était le cas d'ailleurs. Je ne savais pas si tout ceci avait un sens et je regardais défiler le temps en me sentant plus triste chaque jour. Rien ne m'amusait ici, parce que j'étais loin de toute préoccupation habituelle. Je tournai en rond, et regrettai de ne pas être définitivement mort. Peut être ne saisissais-je pas encore que j'ai de la chance? Toujours est-il que je n'aimais toujours pas beaucoup être au milieu des gens. De plus, avec toute cette histoire, les choses ont changées. Il y avait des gens en moins et d'autres apparaissaient, venus de nul part. Je devais admettre quand même que ce phénomène m'intriguait. Bien que je passais la plupart de mon temps enfermé dans la cabine, toujours était-il que je commençai à sortir peu à peu. Et puis il y a eu l'annonce de l'île où l'envie irrésistible de sortir m'était soudainement venue. Piège ou non, qu'est ce que ça pouvait importer puisqu'à présent, je n'avais plus peur de la mort.