Le temps était capricieux aujourd’hui, la mer s’agitait, le vent s’intensifiait, et les douces brises n’étaient plus qu’un lointain souvenir pour les passagers du Titanic. Rien n’allait en cette journée, à l’extérieur, comme à l’intérieur de la petite tête de Nora Vendel. Depuis quelques jours, les nuits blanches s’accumulaient pour la jolie suédoise. Son esprit ne cessait de fonctionner à toute allure, aucun repos, et des milliers de questions surgissaient dans sa tête, alors qu’elle tentait vainement de les écarter et de les oublier. Et si elle parvenait à répondre seule à une de ses questions, trois autres arrivaient par la suite, l’accablant un peu plus. Pourtant, la jeune femme avait réussit à calmer un peu ses démons intérieurs ces temps-ci. Plus calme et plus sereine, elle avait reprit goût à la vie sur le paquebot depuis l’agréable soirée de Noël organisait sur l’île par Elisabeth Cavendish. Une note agréable qui avait mis fin à une année épouvantable. Cependant, depuis quelques temps, Nora se posait une multitude de questions. Encore une fois. Mais cela n’avait rien à voir avec leur condition, ni avec le fait qu’elle supportait mal le fait d’être prisonnière du Titanic, ou à cause des cauchemars qui lui arrivait de faire depuis qu’elle avait assisté au meurtre d’Elisabeth Cavendish. Non, désormais, tout avait à faire avec une jolie blonde, comme elle.

Assise sur sa couchette, Nora ne cessait de repenser à cette brève entrevue qu’elle avait eue avec cette troisième classe. Son visage de poupée, son regard bienveillant et son sourire, n’avaient quitté son esprit depuis qu’elle était venue lui parler dans les Bains Turcs. Avec le recul, Nora trouvait son histoire complètement abracadabrante, et impossible. Sa cousine ? Venue de France ? Quelle idée absurde pensa-t-elle. Depuis la tragédie du naufrage, la suédoise s’était faite à l’idée qu’elle n’avait plus personne, plus de famille, et cela l’a rongé de l’intérieur. Elle mourrait d’envie de savoir comment sa famille allait, et voir cette femme venir à elle et jouer avec ses sentiments en lui disant qu’elles avaient un lien de parenté, s’en était trop pour Nora. Car c’était ainsi qu’elle le voyait : elle jouait avec ses sentiments et voulait la rendre folle. Comme à son habitude, Nora s’imaginait déjà le scénario d’un grand complot dans sa tête, et cette femme en était peut-être le cerveau. Très méfiante, Nora pouvait céder à la paranoïa en quelques secondes lorsqu’un événement de la sorte se produisait. Et l’histoire avec les revenants n’avait rien arrangé à son état de méfiance… Pourtant, avec le recul, Nora ne pouvait s’empêcher de se demander dans un coin de sa tête : « et si elle disait la vérité ? » Car finalement, la suédoise ne savait rien de cette femme. Elle avait préféré rester muette et partir aussitôt, complètement abasourdie par cette annonce. D’un côté, une réelle discussion s’imposait, mais de l’autre, Nora était terrifiée à l’idée de lui reparler et de se replonger dans le passé.

Elle tournait en rond, et l’étroitesse de sa cabine lui devint bientôt insupportable. Nora attrapa son manteau accroché derrière la porte, et enfila ses chaussures. Il fallait qu’elle prenne l’air, beaucoup d’air. Le temps de dehors reflétait totalement la tourmente intérieure qui agitait Nora. Et s’il s’agissait véritablement de ma cousine ? Et si nous avions un réel lien de parenté ? Comment était-ce possible ? Et si tout ceci n’était qu’une machination pour me faire enfermer car j’avais été témoin du meurtre d’Elisabeth ? Nora se prit la tête dans ses mains, puis noua ses cheveux en une queue-de-cheval. Elle aurait pu se les arracher. Elle traversa différents couloirs, puis s’engouffra dans un ascenseur. Tête baissée, elle ne regardait même pas devant elle quand elle entra à l’intérieur. Les grilles se refermèrent, et lorsqu’elle releva sa tête, puis se retourna pour s’appuyer contre le fond de l’ascenseur, de troublants yeux bleus lui firent face, demeurant immobile devant sa possible cousine.

Décidemment, le destin aimait à se faufiler dans la vie de Nora, à la chambouler, et à la forcer à se confronter à ce qui l’effrayait le plus. Faire face à son passé avec cette figure du présent. Se remémorer son enfance, sa famille, ses parents, sa meilleure amie Josefine, et toutes les choses qu’elle n’avait pas eu l’occasion de faire, toutes les choses que le Titanic lui a volées. Quand elle se replonge dans le passé, Nora est vulnérable et sujette à la souffrance et aux douleurs de cette ancienne vie. Pas étonnant qu’elle ait refusé de parler à cette femme, et qu’elle a préféré dresser un mur de silence entre elles deux. La méfiance. Voilà ce qui l’animait aussi en plus de la tristesse. Depuis le naufrage et sa résurrection, et encore plus depuis cette histoire sanglante avec les revenants, la jolie scandinave a tendance à se méfier de tout et de tout le monde. Elle n’est pas très courageuse, plutôt peureuse, et ressent l’affreux sentiment que quelqu’un, ici, sur le bateau, a une dent contre elle. Pourquoi serait-elle enfermée ici entre la vie et la mort si ce n’était par vengeance ? Elle croit qu’on va l’enfermer dans un coin sombre du monstre d’acier, la laisser à l’abandon, tomber dans l’oubli, parce qu’elle a été la malheureuse témoin du meurtre d’Elisabeth Cavendish. Il y a des malades ici, des fous qui aiment se jouer des esprits des autres sans se soucier des conséquences. Et cette femme, cette jolie blonde, fait peut-être partie de cette mascarade de gens tordus, quoique la tendresse de ce visage de poupée semble l’inciter à penser le contraire, et à la croire. Dans un coin de sa tête, Nora espérait sincèrement que la jeune femme arriverait à lui donner confiance, et que toute cette histoire n’était pas un mensonge. La dernière fois qu’elle était venue voir Nora, tout avait été si vite, incompréhensible et impensable qu’elle était restée bouche-bée, les bras ballants devant elle. Elle avait finit par prendre la fuite, ne lui ayant pas dit un mot ni adressée un quelconque geste. Jamais elle n’aurait pensé avoir affaire à une histoire de famille sur le Titanic, et pourtant tout l’univers semblait en désaccord avec elle, bien décidé à ce qu’elle en découd avec cette possible cousine, surprise de son passé.

« Nora. Je suis si heureuse de vous recroiser ici. Je n’ai pas aimé la manière dont nous nous sommes quittées… Avez-vous réfléchis à ce dont je vous ai parlé au sujet de votre oncle ? » Comme paralysée, Nora fixait le visage de la blonde, au regard azur perçant, et presque intimidant. Mais cette dernière la fixait encore plus intensément que la scandinave. Elle avait le regard tellement noyé dans l’espoir que ses pupilles en brillaient. N’importe qui aurait pu le lire, et deviner toutes les attentes qu’elle semblait porter sur Nora. Sa bouche se mit à bouger, laissant s’échapper plusieurs mots. La totalité ne parvint pas jusqu’aux oreilles de Nora, presque ensorcelée par le regard de la demoiselle, et l’insistance de la pression que cette dernière exerçait sur son bras. Trop d’espoir. Il y avait trop d’espoir en elle, et Nora se sentit soudain la détentrice d’un énorme poids sur les épaules. Elle était effrayée par tant de demande de la part de la jolie blonde, effrayée à l’idée de ne pas pouvoir lui apporter ce qu’elle semblait tant désirer. Elle n’aimait pas les responsabilités et la dépendance, et cette situation avait l’air d’en porter tous les traits. Quelques minutes de silence passèrent, et Nora se sentit obligée de lâcher quelques mots. « Je…j... je ne sais pas. » Elle se racla doucement la gorge, ne sachant trop quoi dire à cette parfaite inconnue qui l’accostait une seconde fois avec insistance et une histoire incroyable à la bouche. « Votre nom ? » Elle connaissait son prénom, mais Nora ne savait rien d’elle hormis le scénario qu’elle lui avait apporté la dernière fois. A ses mots, froids, Nora attira le regard de la jeune femme sur l’étreinte qu’elle avait sur son bras, lui faisant comprendre d’un simple coup d’œil qu’il était tant de la lâcher si elle désirait une conversation. Tout avait dit de la manière la plus simple et naturelle. Cela en était presque troublant qu’elles se soient comprises aussi rapidement, car la jeune femme la lâcha aussitôt…