Année 1896

S'il y avait un endroit que Vespasia appréciait particulièrement à Londres, c'était bien le bord de la Tamise, non loin de docks, à l'endroit où l'eau croupie et le fog anglais donnaient au lieu une atmosphère étrange et mystérieuse. Eloignée des coins mal famés où se rtrouvaient les marins, la berge où elle retrouvait ses amis s'enfonçait d'abord dans la boue avant de rejoindre la Tamise, et face à eux, l'on pouvait apercevoir Big Ben et entendre résonner son lent carillon.
La fillette savait pertinemment qu'il n'y avait rien de plus inquiétant pour ses parents que de la savoir dans un tel endroit, mais elle cachait bien habilement son jeu, en prétextant rejoindre des amies d'école. Vespasia pouvait ainsi en toute impunité traîner ses godillots de cuir dans la boue de la berge.

Elle avait passé l'après-midi dans les bureaux du cabinet où travaillait sa mère. Assise sur son fauteuil, les pieds ballants, elle avait eu interdiction d'entrer dans la pièce de travail, mais dès que la porte s'ouvrait, elle tentait d'y glisser un oeil, et ce jour-là, ce qu'elle avait vului avait suffisamment glacé le sang pour qu'une visite à la berge s'impose. Il fallait absolument raconter ça aux autres! Encore une fois, à peine rentrée chez elle, elle prétexta quelques devoirs et s'échappa avant que sa mère ne réalise que son cartable était resté dans sa chambre.

Courant dans les rues de Londres, elle rejoignit les quartiers plus pauvres de la ville, se faufilant dans les ruelles assombries par la tombée de la nuit. Elle resserra son manteau autour d'elle lorsque le brouillard l'enveloppa et elle reconnu bientôt la porte de la petite maison abritant Jack.
-Jack! C'est moi, Vespasia! J'ai des choses à te raconter, il faut absolument que Georgie et toi veniez!
Elle avait suffisamment frappé à la porte pour que celle-ci s'ouvre à la volée.
-Dépêche-toi, vite, pressa-t-elle son ami en l'attrappant par le bras pour le traîner dehors! J'ai vu des trucs incroyables, et il va bientôt faire nuit en plus, ça ne se raconte que sur la berge! Rejoins-moi là-bas!

Elle le laissa en plan, allant quelques rues plus loin chercher Georgiana, lui laissant le temps de terminer quelques travaux de couture, lui donnant rendez-vous à la berge.
Courant jusqu'au petit ponton, elle ôta ses chaussures, ses chaussettes encore propres et laissa pendre ses jambes, essayant d'atteindre l'eau du doigt de pieds. Dans sa tête, les images de l'après-midi resurgissaient et se retournant de temps en temps, elle guettait l'arrivée de ses amis. La nuit tombait doucement, le brouillard s'épaississait au loin sur la Tamise, et Big Ben  s'élevait dans le ciel londonien. La nuit était trop parfaite pour ne pas conter quelques histoires à faire peur!

Sa maman n’allait pas bien, mais vraiment pas bien du tout. Ça en était à un stade ou le docteur avait été appelé parce qu’elle avait mal, parce qu’elle souffrait trop. On avait ordonné à Jack de rester dans le salon tandis que Lydia et son père avaient attendu à l’étage du dessus, devant la porte fermée de la chambre conjugale. Avait alors commencé une attente interminable durant laquelle, Jack avait désobéi et était allé se cacher à côté de l’escalier. L’espace étroit permettait qu’il puisse se blottir sans difficulté et il put non sans mal voir la scène de ses propres yeux. Il voyait Lydia, sa sœur adorée, attendre le verdict. Son visage était angoissé. Tout comme celui de son père. Et puis, au bout d’un moment, au bout d’une attente interminable, la porte s’ouvrit laissant place au docteur.
Ce dernier affichait sur son visage une expression des plus inquiétantes. Pas de joie, pas de peine juste une résignation. Il posa alors sa main sur l’épaule du père de Jack et sans un mot commença à descendre les escaliers. Cette scène resterait gravé dans son esprit jusqu’à la fin de ses jours. Jamais il n’oublierait sur qu’il avait vu. Lydia resta à côté de leur père sans dire mot. La mine défaite du médecin voulait tout dire.
Il n’y avait plus d’espoir.

C’est là qu’il entendit qu’on hurlait son prénom. Il reconnut sans mal la voix fluette de Vespasia, sa camarade de jeux. Jack et Georgiana avaient sympathisé avec elle et les amoureux l’avaient convié dans leurs amusements d’enfants. Pourtant, la nuit était en train de tomber et le blondinet ne comprenait ce qu’elle faisait ici. Alors il courut vers la porte d’entrée et fit face à une Vespasia souriante et enjouée qui le tira par la manche le sommant de le rejoindre. Puis, elle le laissa lui indiquant qu’elle allait chercher également Georgiana. Le petit garçon était partagé entre l’envie de la rejoindre et le besoin de rester auprès de sa famille. C’est là que son père arrive, le visage frappé par la tristesse.

« Qui est venu, Jack ? » Lui demanda t-il en s’approchant de lui.
« C’était Vespasia. Elle voulait que j’aille la rejoindre dehors pour.. jouer. » Tout en lui repondant, Jack baissa les yeux comme s’il venait de faire une faute. Il ne savait que répondre, ni que faire. Jusqu’à ce qu’il sentit la main de son père, se poser sur sa tête avec douceur :
« Et bien, va donc la joindre si elle te demande. » Il lui fit un sourire triste et ajouta : « Va mon fils. » Lui intima t-il presque comme un ordre.

Le blondinet prit la poudre d’escampette et s’enfuit en courant. Il espérait ne pas avoir fait trop attendre son amie. Son esprit était toutefois accaparer par ce qu’il avait vu. Jack se promit de ne pas s’éterniser. Il voulait voir ce que Vespasia voulait lui dire, puis, il retournerait chez lui afin de voir sa mère.
Leur point de ralliement se trouvait être près de la Tamise et il finit par arriver, complètement essoufflé. Sachant que Georgiana n’était toujours pas arrivé. Il trouva la petite blonde qui avait enlevé ses chaussures et barbotait dans l’eau.

« Qu’il y a t-il, Vespasia ? » Lui demanda t-il.