Le paquebot de tous les cauchemars.

La soirée avait été un peu mouvementé, il faut dire les fêtes des troisièmes classes se faisaient nombreuses ces derniers temps, mais il n’y avait rien de mieux pour profiter et aussi oublier les tracasseries que le Titanic nous faisait voir. Je dois dire, que j’avais besoin de ce genre de soirée, en ce moment, j’avais l’impression que tout s’accumulait sur mon dos. Il y avait eu ma visite dans la salle des désirs qui m’avait fait voir un véritable cauchemar, je ne savais que penser de cet évènement et encore moins de mes sentiments pour un certain Joseph Earnshaw. En ce qui le concerne, j’étais totalement perdu et plus je l’évitais, plus j’avais l’impression que je le croisais. La vie était injuste, à croire que quelque chose nous poussait à nous rencontrer.
J’avais bu, peut-être un peu trop, mais pas assez pour ne plus pouvoir retourner dans ma cabine, les effets de l’alcool me faisait peur, je n’avais vraiment pas envie de finir dans le lit d’un autre homme ou pire encore. D’ailleurs, mes frères m’avaient très vite fait peur à propos de l’alcool, ce qui faisait que ma consommation était minime. On avait beaucoup dansé, parler et chanter, ce qui rendait l’ambiance plus familiale et conviviale. Cette nuit-là, j’ai eu peur de voir à nouveau Joseph, il fréquentait beaucoup les troisièmes classes et en ce moment et je craignais de me confronter à nouveau à lui. Pas que je n’aimais pas le voir, mais j’avais peur de ce qui pouvait advenir sur je croisais un peu trop son regard. Sa présence me rendait toujours toute chose et j’avais l’impression de ne plus être moi-même à ses côtés.
Une fois la soirée terminée pour moi, je retournais à ma cabine et une fois dévêtue, je m’enfonçais dans ma couchette pour mieux entrer dans les bras de Morphée. Mon sommeil ne fut pas agité, ce qui était vraiment rare, d’habitude, je faisais toujours un cauchemar, mais cette fois, tout fut paisible. Et pourtant, le réveil fut tout autre chose. Dans mon sommeil, je finis par sentir un sol dur, humide et j’avais froid. Je tentais de rabattra mes couvertures sur moi, pensant qu’elles étaient tombées, mais non elles n’étaient pas là. Je me réveillais brusquement, posant mes mains sur un sol bien froid et qui ne ressemblait en rien à mon lit. Hébétée, je regardais autour de moi, je n’étais pas seule et il y avait Joseph. Oh Seigneur, pourquoi m’avait vous maudite à ce point, souhaitez-vous que je craque pour cet homme. Lui aussi me regarda, mais je détachais mon regard pour voir qui était les deux autres personnes, il y avait Emily ne jeune femme que j’appréciais beaucoup et le télégraphiste du paquebot, un certain Liam. Par contre, je ne connaissais pas l’endroit où nous nous trouvions. J’entendais toujours les bruits des machines du Titanic, ce qui voulait dire que nous étions toujours à bord.

« Où sommes-nous, je ne connais pas cette endroit ? » Dis-je, me s’entend bien bête de poser cette question, après tout, j’étais quand même à bord du Titanic depuis onze mois.

Je vis Liam tenté d’ouvrir la porte, mais peine perdu, elle était fermée. Logique, sinon cela serait bien moins drôle, pourquoi le Titanic nous laisserait-il une porte ouverte, parce que c’était bien ce maudit paquebot qui nous faisait vivre tout cela, qui cela pouvait-il être sinon ? J’avais froid, j’étais simplement vêtue d’une robe toute simple, d’été, je croisais les bras autour de moi et je tremblais. J’avais connu les froids rigoureux de l’hiver londonien, mais à la maison, nous avions toujours un petit poêle à charbon qui nous permettait de nous réchauffer. Je regardais autour de moi pour voir ce que les autres allaient entreprendre pour nous sortir d’ici ou pas. Moi-même, je ne savais comment réagir, cette situation était bien trop étrange et si peu rationnelle, comme tout ce qui se déroulait ici. Plus j’y vivais, plus j’avais l’impression que le Titanic n’était plus le paquebot de rêve, mais bien celui de tous les cauchemars.

La soirée avait été des plus ordinaires. Je l'avais passé en compagnie de quelques amis de ma classe, en fumant l'un ou l'autre cigare tout en discutant de quelques sujets typiquement masculins, à savoir ; la politique et l'économie. Certes, j'aurais pu aller faire un tour au sein des troisièmes classes, que je fréquentais fréquemment depuis le naufrage, et participer à leur fête si joyeuse et amusante, mais je ne voulais pas paraître trop collant aux yeux de Georgiana, qui, j'en avais l'impression, cherchait parfois à m'éviter.
J'étais ensuite allé me coucher aux environs de vingt-trois heures, et m'étais endormi sur mon confortable lit de première classe. Une soirée des plus ordinaires donc, et pourtant mon réveil lui, fut assez original. Dans mon sommeil, j'eus la désagréable impression d'être allongé sur un sol dur et froid. Je cherchais après mes draps afin de les ramener vers moi, sans succès. J'ouvris alors les yeux, pour constater que mon impression était en fait réelle. J'étais bel et bien allongé sur le sol. Je constatais ensuite que je n'étais pas non plus dans ma cabine mais dans un lieux qui m'était tout à fait inconnu, et que je n'étais pas seul dans ce drôle d'endroit...En face de moi, venant de se réveiller elle aussi, se trouvait Georgiana qui avait l'air aussi étonnée que moi par la situation. Je la regardais, ne comprenant pas ce qui nous arrivait. Je ne l'avais pourtant pas vue hier soir...Comment avais je pu atterrir ici ? J'étais certain de m'être endormi dans ma cabine, et seul...
Elle me regarda un bref moment avant de détourner son attention ailleurs. Il y avait en vérité deux autres personnes avec nous. Un homme que j'avais déjà croisé sans pour autant lui parler, et qui à ce que j'avais cru comprendre, était un membre de l'équipage, le télégraphiste si je ne me trompais pas, ainsi qu'une autre jeune fille de troisième classe.

- Où sommes-nous, je ne connais pas cette endroit ? Demanda Georgiana.

Je me levais avec difficulté, ayant mal dormi sur ce sol dur et m'étirai avant d'observer la pièce plus en détail pour pouvoir répondre à la question de Georgiana. Mais l'autre jeune fille me devança.

- Alors là, je n'en ai pas la moindre idée ! Qu'est ce que c'est que ce cirque encore ?

Aucune idée pensais je. De nombreux phénomènes étranges se produisait à bord du RMS Titanic depuis le naufrage. Ce navire regorgeait de mystères...Mais le point positif dans cette étrange situation, était que j'étais en présence de Georgiana. Nous nous croisions sans cesse, n'étais ce pas un signe du destin ? Ou peut-être que le Titanic lui-même guidait notre destin ? Dans ce cas, je lui étais reconnaissant de forcer le destin de Georgiana, de sorte à ce qu'elle me rencontre si souvent.
L'homme dont je ne connaissais pas le nom, qui s'était levé en premier, tenta d'ouvrir la porte, sans succès. Je posais à nouveau mon regard vers Georgiana. Elle était magnifique, comme toujours. Je la regardais de haut en bas, souriant légèrement face à sa beauté. Je n'y pouvais rien, sa présence me rendait heureux....Mais elle n'était vêtue d'une simple robe de chambre assez légère et, ne voulant pas qu'elle croit que mes pensées envers elle était malsaine, je cessais de la détailler et reportais mon regard vers le sien.. Elle tremblait, tant la pièce dans laquelle nous nous trouvions était froide. Je m'en voulais de ne pas avoir à ma portée une veste à lui prêter.

- Ne vous inquiétez pas mademoiselle, nous allons trouver un moyen de sortir d'ici. Répondis je à la jeune fille de troisième classe, que je ne connaissais pas beaucoup.

Ne supportant pas de voir Georgiana trembler ainsi, j'ouvris la première armoire que je vis à la recherche d'un quelconque vêtement qui la réchaufferait un peu. Par chance, dans l'armoire de cette cabine se trouvait quelque vêtements, des vêtements d'hommes, mais dans ce genre de situation cela n'avait pas d'importance après tout. Je débarrassais une veste de son cintre, et la prit.

- Tenez, vous allez attraper froid. Dis je, en déposant délicatement le vêtement sur les épaules de Georgiana.

Je me tournais ensuite vers le télégraphiste.

- Savez vous où nous sommes, Monsieur ? Demandais je poliment. Cet homme, faisant partie de l'équipage, connaissait peut-être cet endroit.
Je gardais mon calme. Il ne servait à rien de s'énerver, pensais je, car à tout problèmes, il y a une solution.

Le paquebot de tous les cauchemars.

L’enfermement. Je n’aimais pas être ainsi recluse dans un tel endroit, dont je n’avais pas la connaissance. Personne ne semblait être là, en dehors de notre groupe restreint et les portes closes, ne nous donnaient aucunes perspectives de sortie. Au fond de moi-même j’étais inquiète, mais j’étais sûr d’être à bord du Titanic. Le petit bruit qu’on entendait et qui provenait des machines étaient un indice non négligeable. Je regardais autour de moi, Emily semblait elle aussi inquiète, mais le grand mystère était l’endroit où nous avions pu tomber.
J’avais froid et cela alerta de suite Joseph qui vint m’apporter une veste, qui portait le symbole de la White Star Line, pour me réchauffer. J’accueillis l’habit avec joie, accordant un ravissant sourire à mon sauveur. Au moment de prendre la veste, je frôlais sa main, ce qui m’électrisa tout le corps et fit rougir mes joues. Je détournais ma tête pour mieux cacher cela, profitant pour enfiler la veste.

« Merci Joseph. » Lui dis-je.

Un jeune homme demanda à Joseph s’il pouvait aussi tendre une veste pour Emily, la pauvre grelottait autant que moi. Ce maudit endroit allait peut-être tous nous tuer de froid. Cela me rappelait le naufrage, avec cette eau si froide qui m’avait glacé le sang et pourtant, j’avais survécu dedans tant de temps. Il faudrait peut-être trouver un moyen de sortir, ou de s’en sortir. Je n’avais qu’une envie me retrouver dans les bras de Joseph, comme il y a quelques jours sur le pont, mais je préférais me retenir, Emily était là et même si je l’aimais beaucoup, je n’avais pas envie que mes entrevus avec Joseph soit l’objet de toutes les conversations. Le jeune homme qui semblait savoir où nous nous trouvions avoua après avoir analysé la pièce que nous devions probablement être dans le quartier des officiers. Oui cela semblait évidant puisqu’aucuns passagers ne pouvaient mettre le pied dans ce quartier, à part pour quelques visites, mais pour cela, il fallait avoir les bonnes connaissances. Comme je m’étais mise à dos, le premier des officiers de ce paquebot, je me devais d’éviter cet endroit. L’homme parla à nouveau pour dire qu’il ne voyait pas comment nous pourrions sortir de cette pièce. N’ayant pas d’idées, je préférais ne rien dire et ruminer cette mésaventure en silence. Désormais, je n’avais plus froid grâce à cette veste, mais j’aurais aimé un réveil. Je réfléchissais à un moyen, comme une pince pour tenter de crocheter la serrure, comme faisait si bien les héros de romans. Mais je n’en avais aucunes, peut-être qu’Emily…
Avant que je ne puisse lui demander, un bruit agaçant, entêtant. C’était comme s’il résonnait autour de moi, tel un insecte qui rôdait. Je n’aimais pas ça et tentais de boucher mes oreilles.

« Qu’est-ce que ce bruit ? » dis-je apeuré.

Je ne voulais pas montrer ma peur, mais je ne pouvais pas m’en empêcher, ce bruit n’était pas agréable, il était comme sorti d’outre-tombe.

- Je crois monsieur, que nous sommes dans le quartier des officiers. Je ne peux vous l'assurer car ma fonction m'empêchait de me rendre dans cette partie du paquebot cependant le fait qu'il y ai des uniforme de la white star line dans cette armoire me conduit à penser que c'est bel et bien le quartier des officiers, me répondit le jeune homme avec autant de calme que moi-même, lorsque je lui avais posé la question.
Cela me paraissait évident que nous étions dans le quartier des officiers, maintenant que le radiotélégraphiste me l'avait dit. J'aurais du y penser en voyant les uniformes de la White Star Line, mais cela ne m'avait pas fait tilt.

- Bien, je vous remercie Monsieur. Cela nous est déjà rassurant, je pense, de savoir où nous nous trouvons. Au fait, je ne me suis pas présenté... Lord Earnshaw, enchanté de faire votre connaissance, même si j'aurais préféré que nous nous rencontrions dans d'autres circonstances, lui dis je, en lui adressant un léger sourire, lui tendant une poignée de main amicale.

Certes, ce n'était peut-être pas le moment idéal pour faire les présentations, mais Dieu savait jusque quand nous serions tout les quatre coincés dans cet endroit, alors autant valait il mieux de savoir qui étaient nos compagnons de mésaventures. Et puis, j'étais un Lord, et les bonnes manières me venait assez naturellement.
Je me tournais ensuite vers la jeune femme de troisième classe, dont j'ignorais aussi l'identité, pour lui tendre à elle aussi, une poignée de main amicale tout en disant :

- Enchanté de vous connaître vous aussi, Mademoiselle.

Ne sachant guère si elle était mariée ou pas, et ne désirant point prendre le risque de la contrarier, j'avais préféré ne pas m'aventurer à l'appeler Madame.

- Je crains que nous n'ayons d'autre solution que d'attendre... a moins que quelqu'un ai une meilleure idée évidemment , dit le radiotélégraphiste, réaliste et faisant toujours preuves d'un grand calme.
On ne pouvait pas en dire autant des femmes, qui semblaient bien plus inquiètes que moi et Liam.

Je regardais autour de moi, à la recherche d'une quelconque bonne idée, d'un quelconque objets qui pourrait nous servir à ouvrir la serrure, en vain. Je regardais ensuite la porte, me demandant si il était possible pour deux hommes de la défoncer, lorsqu'un bruit se fit entendre.

- Qu'est-ce que ce bruit ? Demanda Georgiana, apeurée.
-Aucune idée. Mais il ne me rassure absolument pas. Lui répondit son amie Emily.

Le bruit me faisait penser à celui d'un insecte s'obstinant à tenter d'entrer par une fenêtre fermée. Un bruit des plus banal, certes, mais terriblement agaçant. Cependant, le bruit sourd devenait de plus en plus fort, et semblait se rapprocher. Comme cet insecte en question était juste à côté de nous...Mais il n'y avait aucun insecte dans la pièce. En fait, le bruit semblait venir de l'autre côté de la porte close qui nous retenait prisonnier de cet pièce.
Je m'approchais de la porte et collais mon oreille contre celle-ci afin de vérifier si l'origine du bruit se trouvait bien de l'autre côté, comme j'avais cru le comprendre. Et c'était le cas.

- Le bruit vient d'ici...dis je, avant de m'éloigner de la porte, la proximité du bruit le rendant encore plus assourdissant.

Voulant rassurer les deux jeune femmes et détendre l'atmosphère, je me tournais vers elles et leur dis, avec autant de calme, gardant une allure détendue :

- Rassurez vous mesdemoiselles, il doit s'agir d'un gros insecte qui essaye de passer la porte pour nous venir en aide. Il ne devrait pas tarder à repartir plus loin...

C'était étrange...Très étrange. Et même si j'étais quelqu'un de très rationnel, je doutais moi aussi que l'origine du bruit se trouvait être réellement un invertébrés à six pattes, mais je ne voyais pas ce que cela pouvait être d'autres. Si j'avais dit cela, c'était surtout pour éviter que Georgiana et Emily paniquent. Et puis, si ce bruit était venu d'un seul coup, il pouvait très bien repartir aussi vite. Du moins, c'est ce que j'espérais.

Le paquebot de tous les cauchemars.

Un léger sourire fleurit sur mes lèvres à l’entente des paroles rassurantes de Joseph, je savais qu’il voulait ne pas nous faire paniquer, mais sa réponse était quelque peu ridicule. Ayant vécu dans les quartiers pauvres de Londres, j’avais rencontré de nombreux insectes et je savais très bien que la chose qui se trouvait derrière les murs ne devaient pas être un insecte. Je me détendais tout de même, tout en gardant en tête le visage de Joseph et ses sourires, je finissais par en oublier presque ce bruit dérangeant. Je me serais un peu plus dans ma veste d’officier, comme pour me protéger. Si Charles et George, mes frères, étaient en ce moment même ici, ils viendraient tout de suite me rassurer et j’étais même sûr que Charles voudrait jouer au héros, il avait toujours été le plus téméraire de mes deux frères. Cela me rappelait qu’à chaque fois qu’il y avait une bagarre à l’école, c’était mon ainé Charles qui en était l’instigateur. Malgré son naturel sanguin, il avait toujours fait pour le mieux, devenant un élève intelligent, avant que j’embarque sur le Titanic, il allait bientôt terminer ses études en médecine. Papa et maman s’étaient tués au travail, tout comme moi pour que mes frères puissent un jour avoir une vie convenable. George quant à lui, c’était un frère calme, qui lisait beaucoup, mais il n’avait jamais dit non pour me regarder danser, ou encore pour jouer avec moi. Nous étions vraiment une famille unie et c'était ce que je regrettais le plus ici.

« J’espère que cela va s’arrêter bientôt, je n’ai pas envie de finir sourde. » Dis-je avec une pointe de moquerie.

Cependant, alors qu’on espérait que le bruit allait se calmer, il finit par s’intensifier, je me relevais et m’approcher de Joseph pour mieux ma rassurer, sa présence était bienfaisante pour moi, même si je refusais encore de le reconnaître. En plus du bruit, vint s’ajouter des secousses dans toute la pièce, j’avais soudainement peur, peur que le sol se dérobe sous mes pieds, sans le voir, j’attrapais le bras de Joseph. Je craignais le pire de cette situation de fou.

« Joseph, je… » Commençais-je en ancrant mon regard dans le sien.

Je ne pus finir mes mots, une nouvelle secousse un peu plus forte que les autres fit trembler la pièce, si bien que si je n’avais pas comme appuie le bras de Joseph, j’aurais finis par tomber sur le sol. Cette situation improbable me faisait craindre le pire. Allons-nous, nous en sortir vivants ?

-J’espère que cela va s’arrêter bientôt, je n’ai pas envie de finir sourde.  Répondit Georgiana, avec une pointe de moquerie.
Je lui adressais un léger sourire. Elle était tellement belle...Lorsqu'elle était en ma présence, je ne voyais plus qu'elle. Elle captivait toute mon attention, comme elle l'avait fait la première fois que je l'avais vue.

Malheureusement, ma tentative pour détendre l'atmosphère, à laquelle Georgiana avait si gentiment répondu, parut bien vite ridicule car , plutôt que de s'éloigner et de disparaître comme il était venu, le bruit s'intensifiait, nous assourdissant tout les quatre.
Et comme si ce n'était pas assez, des secousses commencèrent à se faire ressentir dans la pièce. Tout cela n'avait rien de rassurant, et je devais bien avouer que les secousses me mettait bien plus mal à l'aise que cet affreux bruit qui refusait de s'en aller. Elles me rappelaient le naufrage, ou plus exactement le moment où le RMS Titanic avait heurté cet iceberg, faisant trembler tout le navire. Des images me revenaient en mémoire, et mon sourire s'effaça.
Certes, j'acceptais assez bien ma nouvelle condition. Il faut dire que si je n'étais pas mort, je n'aurais jamais rencontré la femme qui avait fait chavirer mon cœur...Mais d'un autre côté, il était difficile pour tout le monde d'accepter le fait d'être mort, de ne plus jamais revoir la terre ferme, et d'être coincé sur ce paquebot pour l'éternité.
Repenser au naufrage n'était de toute façon pas quelque chose de simple...Je revoyais encore tout ces gens paniqué, terrorisé autour de moi. Toute ses vies qui disparaissaient en quelques secondes, devant nos yeux. Et dire que si je n'étais pas retourné récupérer mes biens dans ma chambre, je serais peut-être encore vivant.
C'était l'argent dans lequel j'avais toujours baigné qui avait fini par me noyer. J'avais au moins pu sauver Helen, même si je n'avais pas su tenir ma promesse. Je me revoyais encore l'obliger à monter dans le canot de sauvetage, lui promettant que je reviendrais très vite. Je n'étais bien évidemment jamais revenu.

C'est Georgiana qui me fit sortir de mes pensées, attrapant mon bras. Elle avait l'air effrayée, et s'était approchée de moi. Peut-être ma présence était-elle rassurante pour elle ?
- Joseph, je… commença t-elle alors que son regard captivait à nouveau le mien.
Mais avant qu'elle n'aie pu terminer sa phrase, une nouvelle secousse se fit sentir, plus puissante que les autres,  si bien que si Georgiana n'avait pas mon bras pour appuie, elle serait probablement tombée. Par pur réflexe, je l'attirais un peu plus vers moi, comme pour la protéger et pour qu'elle ne risque pas de tomber.
J'étais quelqu'un d'opportuniste, c'est vrai, mais en l'instant présent mon geste n'était pas du tout réfléchi. Il m'était venu tout naturellement, sans arrière pensée. Mais maintenant qu'elle était si proche de moi, mon regard ancré dans le sien, je n'avais qu'une seule envie ; l'éternelle envie de l'embrasser, de gouter au contact de ses lèvres, à la doucer d'un baiser partagé avec elle...Même si ce n'était pas le moment, même si ce bruit continuait toujours de nous assourdir, et même si le sol tremblait sous nos pieds. Car quand je la regardais dans les yeux, le temps pour moi s'arrêtait.

Je ne savais que dire, mais mes gestes et mon regard parlait d'eux même. J'étais la pour la protéger, et quoi qu'il arrive, je ne la laisserais pas tomber.
Mais si on y réfléchissait... Que pouvait il nous arriver ? Nous étions déjà mort après tout...

Le paquebot de tous les cauchemars.

Je pensais ne plus rien craindre, après tout, j’avais déjà connu la mort, on ne pouvait mourir deux fois, ce n’était pas possible, et pourtant, j’aurais mieux fait de me tromper. J’étais avec Joseph, avec lui, je me sentais plus rassurée, malgré le fait que le bruit soit de plus en plus assourdissant. J’avais envie de lui dire que je l’aimais, mais les mots ne sortaient pas, il devait être encore trop tôt. Je le sentais, il voulait me protéger, si bien que je me blottissais dans ses bras, profitant honteusement de sa douce étreinte. M’aimait-il ? J’aimerai tant le savoir. Je regardais les autres, Emily, le télégraphiste du navire, ils étaient encore tous présents, inquiets comme nous tous. Je regardais cette fichue porte close, qu’est-ce que j’aimerai pouvoir la franchir et fuir loin d’ici, avec Joseph et retrouver le lit auquel on m’avait arraché. Même si je le connaissais peu, je savais que vivre sans cet homme serait de la pure folie, nous avions été réunies durant le pire moment et aujourd’hui nous voilà ici, dans cette pièce enfermée. Le destin semblait nous jouer des tours, à moins qu’il ne veuille nous rapprocher.
Les secousses qui avaient commencé dans la pièce devinrent de plus en plus forte, je m’agrippais alors à Joseph, pour ne pas le perdre. Je crus entendre une sorte de grondement, mais tout fini par devenir étrange. Je ne percevais plus rien en dehors de l’étreinte de Joseph. Des secousses, des bruits, tout cela semblait sortir de l’Enfer. J’aurais voulu hurler, mais les sons étaient bloqués dans ma gorge. Puis ce fut à nouveau la fin, les objets commencèrent à tomber de toute part autour de nous. Je m’agrippais un peu plus à l’homme que j’aimais, souhaitant le sentir dans mes derniers instants. Je le savais, je connaissais cette douleur, j’allais mourir à nouveau, à bord de ce Titanic. Le seul soulagement que je ressentais, c’était que cette fois-ci, je ne mourrais pas seule. Puisse Dieu m’envoyer dans un monde meilleur. Joseph pardonnez-moi de vous avoir éloignez de moi, je vous aime et le Seigneur en sera le seul témoin.

Le bruit assourdissant résonnait toujours dans la pièce et la puissance des secousses continuait de s'accroître. Avant, en bon cartésien, j'aurais probablement cherché une explication logique à cela mais depuis le naufrage, peu de choses suivaient un cours normal.
Cela devenait véritablement effrayant. J'avais l'impression de revivre cette panique que j'avais ressentie lors d'une naufrage. J'avais l'impression que j'allais mourir à nouveau.
Pourtant, le quatorze avril mille-neuf-cent-douze, j'avais cru que je m'en sortirais. J'étais naïf. Ayant toujours été épargné du travail et de la maladie, je m'étais mis à penser que les malheurs n'arrivaient qu'aux autres. J'avais été assez stupide pour croire que dans cette lutte contre la mort, l'ampleur de mes biens, mon titre de noblesse, et tout le reste, allait faire la différence. L'océan ne faisait pas de discrimination. Il engloutissait tout le monde, il n'avait pas de préférence. Riche ou pauvre, après tout, nous finissons tous par embrasser l'étreinte de la mort.
Mais justement, j'étais mort. Je n'avais aucun doute là-dessus, j'étais bel et bien mort. Alors ce n'était pas possible, je ne pouvais pas tout de même pas mourir une deuxième fois ?! Pourquoi faire ? Pour mourir réellement ? Quitter une bonne fois pour toute le monde qui se résumait maintenant pour moi, à la vision sans fin de l'océan ? Non, je ne le voulais pas. J'avais une nouvelle vie, si je puis dire, qui s'offrait à moi. Je ne voulais pas laisser passer cette chance. Ma chance de vivre toute une éternité au côté de la femme que j'aimais. Ce n'était pas le genre de "chance" que l'on s'amuse à gaspiller.
Devant la force des secousses, Georgiana s'agrippait à moi, de plus en plus fort. Elle avait peur, elle était terrifiée, je le ressentais. Je voulais que cela cesse. C'était angoissant, et je ne supportais pas la savoir ainsi en détresse sans pouvoir agir. Je la serrais contre moi, ne voulant pas perdre son étreinte. Cette étreinte était en fait la seule protection que je pouvais lui offrir car malheureusement, je ne voyais pas d'autres issues pour le moment, sinon d'attendre.
Lors d'une naufrage, j'avais obligé Helen à monter dans un canot. Mais elle ne voulait pas me quitter. Je lui avais promis que je reviendrais. Elle m'avait retenu par le bras, pour me dire qu'elle m'aimait. Je lui avais répondu que moi aussi je l'aimais. Je l'avais regardé dans les yeux, je lui avais dit cela, et elle m'a laissé partir. Elle m'a fait confiance, parce que c'était probablement la première fois depuis des mois, voir plus...que je lui disais cela. Ca ne m'avait demandé aucun efforts. Et pourtant, en temps normal, jamais je n'aurais pu dire cela, de manière aussi spontanée, sans effort. Ca me donnait une impression de faiblesse d'avouer des sentiments. Et là, dans le pire moment qu'il soit, j'avais été assez faible pour lui dire. Ou fort devrais je dire ? Puisque c'est peut-être cela qui lui a sauvé la vie...? A croire que c'est dans les pires moments que l'on dit les plus belles choses. Celle qu'on ne regrette pas d'avoir dit.
J'ouvrais la bouche pour parler, mais rien ne sortit. Je le pensais au plus profond de moi, mais ne pouvais le lui dire. Quelque chose m'en empêchait, je n'y arrivais pas.
Je me contentais de la serrer dans mes bras. Si l'on devait voir le positif, malgré l'ambiance des plus angoissante, je tenais dans mes bras la femme que j'aimais, et donc, je ne pouvais pas vraiment dire vivre un moment réellement affreux.
Je pensais la même chose de ma mort. Elle avait été belle. La dernière image que j'avais eu, avant de fermer les yeux, était celle de la plus belle femme que je n'avais jamais vu. Et j'étais mort avec ce sentiment, nouveau et étrange. J'étais mort en tombant amoureux d'une inconnue.
Des objets commencèrent à tomber, à se briser sur le sol. Je fermais les yeux, car la force des secousses troublait ma vision. Tout cela était angoissant pourtant je n'avais pas réellement peur. Quelque chose, au fond de moi, me disait que je n'allais pas mourir pour de bon. Peut-être était-ce même quelque chose qui refusait de me laisser exprimer mes sentiments. Peut-être était ce un signe qu'il y aurait d'autres occasions, plus propice, de le faire.
La seule chose à faire à l'instant présent était d'attendre. Les secousses cesseraient comme elles étaient venues, et le bruit disparaitrait comme il était apparu. Il ne pouvait en être autrement.

- Ne vous inquiétez pas, rien ne peut vous arriver., dis je, voulant rassurer Georgiana comme je l'avais fait avec Helen. J'avais parlé assez fort pour qu'elle m'entende malgré le bruit assourdissant, mais je n'avais pas crié pour autant. J'avais dit cela avec assurance, car je croyais en mes paroles, et pourtant j'avais l'impression qu'elles sonnaient fausses, comme si elles ressemblaient à un mensonge destiné à la rassurer, comme si il manquait quelque chose à mon affirmation. Alors, sans vraiment réfléchir, j'ajoutais dans un murmure, qu'elle seule pouvait entendre ; " Je suis là."
C'était venu comme ça, je ne savais pas vraiment pourquoi. Mais peut-être était ce plus rassurant à ses yeux de savoir que j'étais là pour elle, même si en ce moment je ne faisais pas grande chose qui pouvait lui être d'une grande aide. Mon cœur avait parlé pour moi. Il voulait qu'elle sache que j'étais là, que j'étais lié à elle, que jamais je ne l'abandonnerait, que jamais je ne laisserais personne lui faire du mal...