Il faisait nuit, il faisait froid, il faisait … Côme baissa la tête et poussa un profond soupir. À vrai dire, il aurait bien été incapable de dire ce qu’il faisait ! Le Titanic avait sombré, emportant avec lui les passagers défunts restant à bord sous forme de spectres. Ils l’avaient tous compris, ils prenaient cette deuxième vie comme un cadeau ou comme un fardeau. Côme faisait plutôt partie des gens qui s’en réjouissaient mais comme tout le monde, parfois il avait cet instant de nostalgie. Ici, au fin fond de l’océan, ils ne distinguaient quasiment même plus le jour de la nuit ! Quant aux températures, quand on est mort, on ne risque pas de sentir la brise légère ou le vent chaud. Non, Côme ne savait rien dire sur ce qui l’entourait. Enfin si, il pouvait énumérer les poissons dans l’eau et s’amuser à dévisager les requins. Ces animaux qui effrayaient tant les êtres humains, aujourd’hui plus aucun passager n’avait besoin de craindre ces monstres marins.

Côme se redressa dans son costume élégant, s’étirant largement et faisant craquer ses doigts dans un bruit qui en dérangeait plus d’un. Il prit une grande inspiration, bien que ses poumons ne nécessitaient aucun air et que l’eau de l’océan n’entrait pas dans son organisme mort. Il avait simplement besoin d’effectuer ces gestes du quotidien pour se sentir … vivant ! Être vivant, un cadeau dont beaucoup de gens n’avaient pas conscience. Côme ne réalisait que maintenant ce que la vie valait, toute la valeur que celle-ci contenait. Et la nostalgie le gagnait, l’envie d’évasion et d’indépendance le submergeait. Le blond aurait voulu battre des bras et des jambes et fuir ce navire mais il y était piégé, comme un oiseau entre les barreaux d’une cage.

Comme à chaque fois qu’il déprimait beaucoup, Côme s’éloigna à grands pas et se dirigea vers un endroit spécial … Un lieu qui lui appartenait, qui n’appartenait qu’à lui et à ses deux meilleurs amis ! Cette cabine, elle était spéciale, elle était à eux. D’ailleurs Côme se fichait éperdument que quelqu’un d’autre y dorme, il avait trop besoin d’y retourner quand il se sentait mal. Le jeune homme poussa la porte et vint s’asseoir en indien sur le plancher. Ses paupières se fermèrent et il se concentra pour se ressasser la scène qui avait eu lieu entre ces murs. Il se revoyait … Assis là avec Katherine et Matthys. Tous trois, prêts à faire ce qu’ils avaient à faire pour rester ensembles à jamais. Et puis le couteau, l’arme fatale. Le sang qui coule et se mélange à l’eau, les cris au loin qui s’atténuent et la douleur qui s’éteins. Côme meurs.

La porte s’ouvrit, Côme sortit de sa léthargie pour faire pivoter la tête. Une silhouette qu’il commençait déjà très bien se dessinait dans son dos, elle était gracieuse et divine. Elle avait des apparences de gentille petite fille sage mais ne vous y laissez pas prendre ! Katherine était tout sauf innocente et c’était ce que Côme aimait chez elle ! Elle savait comment lui parler, elle savait qu’elle ne devait pas le considérer comme un enfant … une petite chose à protéger. Tout cela l’énerverait davantage et ne ferait qu’amplifier son envie de s’en aller. Le jeune homme se releva et se tourna vers la demoiselle, lui faisant face, il n’avait pas le courage de sourire et de faire semblant que tout allait bien. Il fuyait par ailleurs son regard et se contenta d’un simple :

« Salut Katherine ! »

Ils avaient tout vécu ensemble, les meilleurs comme les pires moments de leur vie. N’était-ce pas normal qu’à présent, ils partagent leur mort ? Côme n’aurait pas voulu vivre éternellement sans elle … Elle était bien trop importante à ses yeux. Cela étant, il ne ressentait pas le besoin de lui en parler. Surtout pas en ce moment, là il avait plutôt envie de fuir ! Fuir ce navire, fuir cet univers dont il n’avait plus envie de subir les conséquences. Mais Kath était là … Elle était là et face à elle, il était incapable de garder pour lui sa détresse et ses angoisses. Côme tituba jusqu’au lit sur lequel il monta, il s’y recroquevilla tel un enfant apeuré par le Croquemitaine. S’il avait pu pleurer, sans doute l’aurait-il fait. Mais là, il ne le pouvait plus … Plus jamais il ne saurait pleurer, plus jamais il ne saurait ressentir la moindre douleur si ce n’est celle qui vous déchire l’âme. Côme leva un regard perdu vers Katherina comme s’il s’était bel et bien égaré en chemin.

« De toute façon à quoi ça sert ? On est là … À faire semblant d’avoir la vie de nos rêves mais c’est n’importe quoi ! On aura jamais d’enfants, on ne pourra plus jamais être en danger, on ne connaîtra plus jamais rien d’autre que ce maudit paquebot ! Je sais pas à quoi on est censés s’accrocher … »

Il posa le front sur les genoux, à cet instant précis … Il voulait juste que Katherine se taise. Qu’elle se taise et qu’elle vienne le serrer dans ses bras. Même si techniquement, ils ne se touchaient pas, l’âme de Katherine et la sienne étaient liées à jamais ! Une part de Côme appartenait à la jeune femme, elle était tellement importante pour lui. Il voulait juste qu’elle vienne et qu’elle le serre contre elle, qu’elle lui dise qu’elle était là … Côme baissa la tête et se tut.