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 « L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg

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MessageSujet: « L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg   « L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg EmptyJeu 19 Avr - 16:22

« L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg Hwhmis
« L'imagination exige de penser »


Elia J. Bradbury & Franz H. Dreinberg

La journée venait à peine de débuter lorsque miss Bradbury ouvrit les yeux, gênés par la lumière entrant par la fenêtre de sa chambre. Il était très tôt, mais pourtant, la demoiselle était au maximum de sa forme et ne souhaitait pas retomber dans le sommeil. Tout était calme dehors, dans les couloirs. Il n'y avait pas meilleure heure pour se promener en évitant la foule.

Bondissant de son lit, elle courra presque se laver et s'habiller. Sans savoir réellement pourquoi, elle se sentait pleine d'énergie et était persuadée que cette journée allait être fabuleuse. Sans doute son intuition. Dans sa garde-robe, elle ne chercha midi à quatorze : la première robe lui tombant sous la main était faite d'un tissu très fin de couleur jaune pâle. Elle l'enfila, prit son châle et sortit dans le couloir blanc, sans oublier son précieux carnet. Ce dernier était très important pour Elia, car il contenait tous ses écrits, toutes les idées qui lui passaient par les têtes, ainsi des éléments qui lui semblaient intéressant pour une de ces petites pièces qu'elle avait tant de plaisir à écrire. Les idées qui s'y trouvaient, elle les avait écrite au fur et à mesure de ses mésaventures, les regroupant pour la plupart afin de donner une histoire qui ressemble à quelque chose. Elle ne sort jamais sans et serait prêt à faire demi-tour et à retourner le chercher, peu importe la distance à laquelle elle se trouve de lui. Tout comme un artiste ne sortait jamais sans ses papiers et ses crayons, la miss ne sortait jamais sans cet objet précieux à ses yeux.

Le paquebot était encore endormit. Seuls les membres d'équipages étaient en plein travail avant que les jeunes gens ne se réveillent. La jeune femme en croisant plusieurs d'entre eux, sans vraiment porter attention à ce qu'ils étaient en train de faire. Son pas décidé montrait que rien ne pourrait la distraire tant qu'elle n'aura pas atteint son but, à savoir le pont d'embarcation. Elle adorait cet endroit, notamment pour l'inspiration qu'il lui offrait. Lorsqu'elle posa le pied sur ledit pont, elle sentit un souffle d'air frais lui frotter le visage. Le seul paysage que l'on pouvait admirer ici n'était que cet océan sans fin, calme et plat. Un sourit de satisfaction et d'apaisement naquit sur son visage blanc. C'est ce calme qu'Elia avait besoin à ce moment même. Cette dernière s'assit au bord de l'un des nombreux bains de soleil et ouvrit son carnet, le feuilletant pour rechercher les derniers mots qu'elle avait gribouillé dans le coin d'une feuille et commença à en écrire d'autres, puis petits à petit elle se mit à écrire des phrases. De temps à autres, elle se mit debout, compta des pas, fit des gestes. Si une personne ne savait que cette passagère était en plein travail de réflexion, elle aurait pu très facilement passer pour une folle.

Soudain, le brouhaha des conversations et le bruit des pas se faisaient entendre. Le paquebot se réveillait enfin. Et l'appétit de l'apprentie artiste aussi. Après avoir remplit les dernières lignes de sa page, elle descendit à la salle manger du pont D afin de satisfaire cet estomac capricieux.
Assise à une table au fond de la pièce, près des fenêtres, l'Anglaise prit son temps pour avaler son petit déjeuner, gribouillant à nouveau des mots sur son carnet, par rapport aux personnes qu'elle voyait et à l'aspect de la seule. Comme coupée du monde, elle n'entendait rien de ce qu'il se passait autour d'elle, s'occupant d'observer, de manger et d'écrire. Durant quelques secondes, elle s'arrêta même pour regarder à l'extérieur, n'entendant pas quelqu'un s'approcher...
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MessageSujet: Re: « L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg   « L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg EmptyVen 4 Mai - 18:44

(c) dessine—moi-un-mouton
« L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg Tumblr_m1ki9lHCFy1r4pwt8o2_500
Tea for two and two for tea.





Franz aimait la discrétion. Ou du moins lui était-elle vraiment vitale, une partie intégrante aussi bien de sa vie que de son dévorant métier. Tout était plus tellement plus simple quand le silence se mêlait aux ombres, dans l'immobilité paisible permettant à toutes les possibilités de demeurer à portée de main. Mais le monde, même dans la mort, restait peuplé d'êtres insupportables cherchant à tout prix à lui ôter cela.

Ce n'était pas de la fuite, mais du repli stratégique. Certes, il y avait plus de panache à affronter l'ennemi les yeux dans les yeux, mais cette étape avait été maintes fois répétées, au point qu'il avait fallu reconnaître son totale inefficacité. La seule solution consistait donc à filer à l'anglaise, aussi étrange puisse être l'emploi d'une pareille expression vis-à-vis d'un loyal serviteur du Kaiser. Qui pourchassait donc notre brave espion ? Une goule évadée de la soute ? Un mécréant issu du fin fond des cales, et bien décidé à en découdre ? Ou pire, une femme ? Non, rien de tout cela. Ce contre quoi il ne pouvait lutter était d'une nature toute différente, et de ce fait particulièrement coriace, et difficile à s'en débarrasser. Depuis le naufrage, un des stewards théoriquement au service des secondes classes avait été gagné, depuis son "trépas", d'une fibre altruiste particulièrement flamboyante, qu'il ne manquait jamais d'exhiber auprès des dernières classes à grand renfort de civilités amicales et d'empressements civils envers ceux, bien que souvent démunis, avaient, je cite, "pleinement le droit de voir leur ordinaire quelque peu amélioré en ces temps de crise", et ce grâce aux petits soins de leur dévoué nouveau meilleur camarade. Ce genre de choses ne prenait vraiment pas avec Dreinberg. C'était triste à dire, mais toute cette gentillesse débordante et bruyante... Pas du tout sa tasse de thé. Tout aurait pu s'arrêter là, lui méprisant par son indifférence la courtoisie sincère d'un membre de l'équipage, et ce dernier démontrant que l'humanité d'une seule personne peut ensoleiller les jours de bien d'autres... Rien n'est cependant simple, et encore moins à bord d'un vaisseau fantôme. Franz, à son immense déplaisir, était devenu la "cible" du steward, qui ne manquait jamais de le saluer bruyamment dans les couloirs, de lui tenir la jambe sans que personne ne lui ait rien demandé, bref, de lui soustraire son oxygène de la manière la plus irritante qui soit. Aucun remerciement glacé n'avait réussi à venir à bout de la bonne humeur du mécréant, chez qui le mot "discrétion" n'apparaissait nul part au sien de son vocabulaire. Il apparut très rapidement à la taupe que ce gêneur devait disparaître, lui dont les familiarités déplaisaient autant à celle-ci sur le plan personnel que professionnel. Avait-on idée, d'ainsi déranger les honnêtes gens, sincèrement.

Néanmoins, l'éventail des options se réduisit sous peu à l'unique porte de sortie mentionnée auparavant. En effet, songer à se débarrasser de manière définitive de son encombrant "meilleur ami" se révélait improductif, puisqu'il y avait fort à parier que poignardé puis jeté par dessus bord, l'employé allait réapparaître comme par enchantement dès le lendemain sur un lit de l'infirmerie, et certainement bien moins accueillant vis-à-vis de Franz. Alors quoi, lui briser la nuque et enfermer le cadavre dans le coffre d'une des autos endormies et à présent inutiles du pont Orlop ? Quelqu'un pourrait tomber dessus, dans le cas idéal où son corps ne reprendrait pas vie dans la nuit. Non, perdre plus de temps à imaginer les mille et unes occasions, et les encore plus nombreux moyens de rayer de la carte cet affligeant personnage ne rimait à rien, pour la bonne raison qu'il s'agirait toujours de rêves inaccessibles, le genre de chose taxées d'inutilité dans le monde de l'Allemand, et donc n'ayant nul droit d'exister. Il n'y avait donc que la fuite, nouveau particulièrement mal vécue par l'espion, qui d'ordinaire n'était point le gibier, mais bien le traqueur. Cette situation ne devait plus durer. Néanmoins, lorsqu'il croisa, à l'autre bout du couloir, le regard du steward, il comprit que le règlement définitif de cette histoire serait encore une fois partie remise. Aucune fiche envie d'adresser la parole à ce type. Encore moins celle de s'évertuer à entreprendre un dialogue de sourd avec un mur souriant jusqu'aux oreilles. Mon Dieu, tout mais pas ça.

Ce fameux "tout" ne serait autre que la salle à manger des secondes classes, s'ouvrant presque miraculeusement sur sa droite, et où il s'engagea prestement, sans même songer à ralentir le pas. Cependant, le miracle prit fin lorsqu'il remarqua le peu de passagers levés à cette heure ; personne encore, ou presque, n'avait eu envie de se réveiller aux aurores et de petit-déjeuner le plus tôt possible afin de profiter au mieux des périodes de calme absolu, quand le Titanic devenait pratiquement désert à l'heure des repas. Une chevelure blonde attira pourtant son regard, habitué à passer rapidement au crible chaque pièce dans laquelle le voyageur entrait ; compte-tenu de sa manière de se tenir assise, Franz crut reconnaître Elia Bradbury, damoiselle tout aussi attentionnée à son égard, autrement moins étouffante d'un autre côté que le marin le suivant à la trace, et qui ne tarderait pas à apparaître. Le choix fut vite fait, sans doute en moins d'une petite seconde, tant il était clair qu'entre deux mots, il fallait choisir le moindre.

Au passage, Franz attrapa un journal datant de leur départ de Queenstown ainsi qu'une tasse pleine d'un liquide fumant certainement préparé par les serveurs à l'attention d'une personne prévoyante ayant demandé à trouver à sa table son petit-déjeuner habituel, et qui venait de se faire déposséder comme un rien. Le voilà métamorphosé en promeneur matinal tombant "par le plus grand des hasards" sur une connaissance lui évitant de tomber dans une solitude faisant de lui une cible idéale aux yeux de son poursuivant. Avec un naturel propre aux menteurs invétérés à leur aise dans n'importe quelle situation, il longea lentement la table de la miss, glissant au passage un discret coup d'œil à la page noircie de notes qui occupait visiblement pour l'heure toute l'attention de la jeune femme. Il s'agissait-là d'un autre réflexe, fort utile et en même temps indiscret, le poussant à sans cesse se pencher sur le moindre document à sa portée.


-Puis-je...? demanda alors parfaitement calmement Dreinberg, se retournant pour faire face à Elia, dans le dos de laquelle il était arrivé, profitant de sa nouvelle position pour couler un regard vers la porte d'entrée, guettant sans en avoir l'air son bourreau intellectuel.

Pour une fois, ce serait lui qui s'inviterait aux côtés de la passagère, et non l'inverse : après tout, elle lui devait bien ça pour toutes les fois où elle lui avait collé aux basques, non ? Se concoctant un sourire poli, Franz demeura ainsi debout, attendant patiemment qu'on lui réponde par l'affirmative, comme cela avait une probabilité fort acceptable de se produire.

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MessageSujet: Re: « L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg   « L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg EmptyVen 18 Mai - 14:39

Les rayons du soleil tapaient de plus en plus aux vitres de la salle à manger, au fur et à mesure que l'astre doré s'élevait dans le ciel. Pas un oiseau dans le ciel, ni même de nuage. Sans doute ferait-il chaud aujourd'hui. Depuis le naufrage du Titanic et son réveil sur ce dernier, Elia avait complètement perdu la notion du temps. De ce fait, il lui était impossible de définir la saison dans laquelle ils se trouvaient actuellement. Printemps, été, ou automne ? Elle ne saurait le dire avec exactitude. Quoi qu'il en soit, en vue des conditions climatiques présentes, sans doute ferait-il très beau et assez chaud aujourd'hui. Mise à pat les quelques lampes encore allumées, les rayons de soleil éclairés principalement la pièce, redonnant un peu de sourire aux peu de personnes présentent. Il était étrange de voir à quel point le temps qu'il faisait dehors avait un impact sur les humeurs des vivants (ou dans le cas présent, des morts). Au cours de sa vie, la jeune femme avait souvent remarqué que la pluie ou le vent avait le don d'énerver ou d'attrister les gens. Au contraire, le soleil amenait la bonne humeur et la joie. Elle serait incapable d'apporter la moindre explication à ce phénomène, mais ce fait général pourrait expliquer pourquoi le commun des mortels préférait le beau temps au déluge.

Elia sirotait lentement son café tout en fermant les yeux, savourant ce liquide chaud couler le long de sa gorge et lui redonner un peu de chaleur. Lorsqu'elle les rouvrit, elle découvrit avec surprise Edward North, un passager de troisième classe. Le fait qu'il se trouve dans la même pièce n'avait rien d'étonnant en soi : depuis quelques temps déjà, les passagers de toutes classes avaient prit l'habitude de se mélanger, bien que certaines premières classes restent encore assez distant envers « les plus bas ». Non, ce qui étonna l'anglaise, c'est qu'il se trouvait juste devant elle et lui demanda la permission de s'installer à la même table. D'ordinaire, c'était elle qui allait vers lui et non le contraire. Un soudain revirement de situation ? Tant mieux ! Pour une fois, elle n'aura pas besoin d'enfiler son costume d'enquiquineuse invétérée.


-Monsieur North ! Je vous en prit, asseyez-vous !

Fermant d'un coup sec son manuscrit sacré et décroisant ses jambes, elle lui adressa un sourire de sympathie. Le fait que le nouvel arrivant ait brisé sa petite bulle de silence ne la dérangea aucunement, car sachant qu'elle aurait tout le reste de la journée (et toute l'éternité) pour se replonger dans ses pensées.
Un rayon de soleil illumina la table où ils se trouvaient, sans pour autant les éblouir, le soleil n'étant pas encore assez haut pour atteindre leurs yeux clairs. Toutefois, Elia dû s'habituer durant quelques secondes à l'éclat de sa tasse blanche.


-Je ne vous savez pas aussi matinal.

Quand miss Bradbury avait mis le nez sur le pont, il devait être quoi ? Six ou sept heures, peut-être ? Maintenant, il ne devait être guère plus que huit heures, et encore. La salle se remplissait petit à petit, bien que les passagers semblaient encore tous plongés dans un long sommeil. Avec le peu de perturbation que rencontrait le navire sur cet océan calme et plat, il était beaucoup plus facile de fermer l'oeil durant la nuit. Pourtant, le duo était attablés et réveillés depuis plusieurs heures déjà, du moins pour la demoiselle. Dans une journée, cette dernière ne dormait pas beaucoup, ou au maximum six heures. Le reste du temps elle le consacrait à des discutions, des lectures ou des rêveries. Avait-elle au moins une fois rêvé de descendre du Titanic et de toucher enfin la Terre ferme ? Avant le naufrage, certainement. À présent, elle ne pensait qu'à profiter de l'instant présent et de continuer à « vivre » comme elle l'entendait. Sans doute se lasserait-elle de parcourir encore et toujours les nombreux couloirs de ce gigantesque paquebot, mais pour l'instant, Elia ne faisait que les savourer.

Observatrice, le regard de North en direction de la porte ne lui échappa pas.


-Tentez-vous d'échapper au diable en venant ainsi vers moi, monsieur ?

Et elle jouerait le rôle de l'ange, peut-être ?
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MessageSujet: Re: « L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg   « L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg EmptyJeu 5 Juil - 15:32

Les gens s'avéraient tellement prévisibles. Au fond, à quoi bon chercher la raison ayant poussé miss Bradbury à l'accepter à sa table, le plus important demeurait dans le fait qu'elle l'avait fait, qu'inconsciemment, il l'avait poussée à agir comme lui l'entendait. La manipulation ne reposait pas seulement sur la force physique ou encore sur un verbe maniéré, il fallait simplement bien connaître son interlocuteur, et savoir donner une légère inflexion au bon moment. Par la suite, une chose en entraînant une autre, vous obteniez ce que vous vouliez sans même vous être donné beaucoup de mal. Ce fut donc sans sentiment de victoire particulier que Franz prit place en face de la jeune femme, toujours armé de ce léger sourire poli qui signifiait tous les remercîments du monde, loin du ricanement silencieux du vil marionnettiste fort ravi de son petit tour de passe-passe.

En réalité, ce qui l'amusa réellement fut la question de la comédienne. Cette dernière ignorait tout de lui, et aurait été certainement immensément surprise en découvrant à quel point l'espion pouvait résister à une privation aussi continue et intense de sommeil, ce qui avait été un des exercices de son entraînement militaire du temps de sa formation à Berlin. Réveillé jusqu'à quatre fois par nuit avec une infinie rudesse, pour être interrogé, lancé dans un marathon nocturne ou soumis à une épreuve de précision au champ de tir, Franz avait tenu bon tout du long, et ce n'était pas une matinée entamée fort tôt à bord d'un navire de luxe qui avait de quoi, à ses yeux, relever de l'exploit. Mais Elia ne savait rien, tant mieux pour son monde douillet et tranquille reposants sur de rassurante illusions. Dans l'univers de la jeune femme, il n'était qu'un professeur particulier un peu étrange, mystérieux sans doute, en tout cas une personne qu'elle ne voyait pas d'un mauvais œil, l'ingénue. Elle ne se rendait même pas compte que c'était à elle de fuir le Malin, car la belle venait de l'inviter à sa table, sous les traits d'un menteur chevronné pour une fois trop heureux de la croiser, pour mieux l'utiliser en tant que pare-feu. Franz était le Diable. Il n'avait donc aucune raison de le craindre.


-À vrai dire, il serait sans doute plus adroit de vous assurer que cette chaise ne m'est apparue intéressante que parce qu'elle jouxtait la vôtre, mademoiselle.

Ce qui, en version raccourcie, moins pompeuse et autrement plus sincère se réduisait au savant adage prétextant qu'entre deux maux, mieux valait choisir le moindre. Et si la miss se révélerait sans doute aussi bavarde que le steward, au moins son babille serait-il moins obséquieux, et donc moins insupportable que celui de son "coéquipier". Et puis avouons-le, pour exercer le métier d'espion, il fallait aimer un minimum le risque, et quelle plus belle mise en danger que celle réunissant un homme pétri de secrets et une damoiselle curieuse désireuse d'en apprendre plus sur ce personnage dont la vie dépend justement de la préservation des mystères l'entourant ? Elia représentait un danger, minime certes, mais réel, contrairement à l'employé du navire qui lui se résumait par "mort lente et douloureuse suite à un ennui trop prononcé".

Dreinberg porta à ses lèvres la tasse dont il ignorait encore le contenu, et identifia sans trop de mal un thé Earl Grey parfumé à la menthe auquel avait été ajouté, allez, deux sucres, ou une grosse cuillérée du même condiment. Pas de lait néanmoins, ce qui évita un trop grand désappointement à l'Allemand, habitué à ne prendre qu'un café noir tous les matins. Rien ne put néanmoins se lire dans son expression qui eût pu trahir un quelconque dégoût : son personnage lui demandait de jouer un troisième classe venu prendre son petit déjeuner le plus naturellement du monde, il aurait été étrange que ce dernier ne goutât point la boisson qu'il avait théoriquement choisi lui-même. Posément, Franz reposa la tasse, rompu aux bonnes manières en société bien élevée, avant de reprendre la conversation. Mentalement, il comptait les secondes, visualisant la position que devait avoir à présent son poursuivant dans le couloir longeant la salle à manger, son allure, ainsi que el nombre de pas le séparant de la porte.


-Néanmoins, si un tel tête-à-tête avec Lui vous apparaît comme prometteur, j'ai comme l'intuition que vous ne serez point déçue ce matin, affirma-t-il, sibyllin, avant de poser son regard sur l'entrée.

Cinq, quatre, trois, deux, un... La figure enjouée du membre du personnel d'équipage apparut sur le seuil, balayant la pièce à la recherche d'un passager accueillant auprès duquel s'enquérir de la beauté du temps ou de la douceur de la vie -autrement dit, une proie. Il lui restait peu de temps avant d'être repéré et de devenir une cible verrouillée. Il serait alors temps de voir à quel point Elia pouvait lui être utile.
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MessageSujet: Re: « L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg   « L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg EmptyDim 21 Oct - 10:36

Il était difficile de croire que le nouveau compagnon de table de la blondinette soit venu s'installer uniquement parce qu'elle y était attablée. On aurait pu se poser des questions, imaginer des scénario impossible et inimaginable selon lesquels le troisième classe commençait à apprécier la demoiselle. Certes, cette dernière pouvait se montrer naïve, pas stupide, si bien qu'elle en conclut l'hypothèse suivante : à cette heure, il n'y avait encore que très peu de personnes dans la salle à manger des deuxième classe, dont très peu de personnes de la classe inférieure, sinon qu'un seul. Il ne connaissait sans doute qu'Elia, voilà donc pourquoi il est venu vers elle. Bien évidemment, petit-déjeuner seul n'était pas mortel (pour preuve, elle était bien en train de le faire !), mais à deux cela était bien plus agréable, bien qu'elle pouvait mettre sans hésiter sa main à couper qu'Edward pouvait se passer d'une telle compagnie. Quoi qu'il en soit, il était là, et le pourquoi du comment n'allait pas tarder à faire surface.

Elia avala une dernière gorgée de son thé et le reposa minutieusement sur sa coupole. Il ne restait, au fond de la tasse, qu'un demi-centimètre du liquide, devenu quasiment froid du fait de la longueur de temps qu'avait eu sa propriétaire pour l'avaler. Ce qui se passait autour d'elle était tellement plus intéressant et, avouons le, manger ne faisait pas partie de ses activités primordiales, si ce n'est pour conserver une vie saine. À sa place, il restait quelques miettes de toast sur une assiette aussi blanche que la tasse. Elle n'avait aucune idée de l'heure, mais si North n'était pas venu, sans doute serait-elle allé à nouveau sur le pont pour de nouveaux gribouillages avant de retourner dans sa cabine et trier toutes ses idées. Oui, son programme de la journée avait été soigneusement examiné dès son réveil, inconsciemment, comme chaque nouvelle journée.

Le liquide chaud et exquis coula le long de sa gorge, la réchauffant, tandis qu'elle se tourna en direction de la porte d'entrée, dans le but d'apercevoir le fameux Diable, qui se trouvait être un jeune homme appartenant à l'équipage du Titanic. Dans son exploitation, il faillit renverser une vieille femme, mais ne paraissait pas posséder une queue ou encore des cornes rouges, ni même un trident pointu.


-C'est bizarre... Je l'imaginais plus maléfique qu'un simple personnel d'équipage. Lâcha-t-elle plus pour elle-même que pour un hypothétique pic à l'encontre de son interlocuteur. Ce n'était pas son genre, loin de là.

Les yeux du soit disant « diable » se posèrent alors en direction de leur table. De façon simultané, un sourire soulagé apparut sur le regard, ses pas l'emmenant vers eux. Miss Bradburry comprit assez facilement qu'il n'avait rien de méchant, mais d'assez enquiquinant pour le passager. Elle ne savait peut-être que peu de choses à son sujet, mais il ne ressemblait guère à un homme se laissant embêter trop longtemps. En fait, ce steward arrivait au bon moment... Elia avait une petite revanche à prendre. Arrivé à leur table, il eut à peine le temps d'ouvrir la bouche qu'elle le coupa dans son élan :


-Oh, vous tombez bien ! Lady Palmer vient de quitter la salle il y a quelques minutes. Il semblerait qu'elle ait malencontreusement perdu une de ses boucles d'oreilles en argent et je suis sûre qu'elle serait ravie que quelqu'un lui retrouve.

Lady Palmer... Une de ces grosses femmes bien en chair, particulièrement odieuses et affichant leur richesse partout où elles le pouvaient. Bien que la jeune femme soit particulièrement tolérante, elle avait un mal fou à être aimable avec ce genre de dame.

-Vous devriez aller la voir. Elle fera sans doute mine de ne rien avoir perdu par fierté, mais insistez un peu et je suis certaine qu'elle acceptera votre aide avec plaisir.

Ses talents de comédienne pouvaient jouer des tours à n'importe qui et semblèrent marcher sur le jeune diablotin qui partit sans attendre, tout joyeux. Combien de temps lui faudra-t-il pour se rendre compte de sa supercherie ? La lady remontera-t-elle jusqu'à Elia ? Certes, mentir ainsi à quelqu'un souhaitant bien faire ne s'inscrivait pas dans la liste des choses dont elle se sentait fière, mais cette histoire passera bien vite sous la trappe. D'une main nerveuse, elle gratta les feuilles de son calepin, son esprit partagé entre l'envie de l'ouvrir et de se donner un coup sur la tête.

-Ile Malin n'est pas près de réapparaître, je pense. Chercher un objet imaginaire dans un endroit tel que le Titanic est sans doute impensable.

Le pauvre, il allait y passer la journée...

-Hum. Vous lisez toujours ce journal, après tout ce temps ?

Engendrer sur un autre sujet se montrait être la meilleure façon de ne pas culpabiliser.




[C'est pas terrible, désolé... :S]
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MessageSujet: Re: « L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg   « L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg EmptyVen 4 Jan - 14:43

En devenant espion, Franz avait perdu beaucoup de choses, plus sans doute que ce qu'il aurait pu se figurer, ou même regretter : en acceptant ce poste, il avait renoncé à porter son nom de baptême officiellement, ce qui ne le gênait pas encore, mais également à avoir une vie de famille, une femme et des enfants, tout comme un foyer, de véritables amis qui ne soient pas là uniquement pour servir les intérêts de l'Allemagne ou servir de bouclier humain ou encore stratégique en cas d'incident. ça, il l'avait compris et accepté, car cela concordait assez avec son caractère, et pour l'instant, le goût du risque ainsi que du service rendu envers son pays suffisait à le combler pour que son coeur ne soupire pas après de telles futilité. Il s'agissait du contrat tacite, en rien signé car n'ayant aucune existence officielle ou matérielle, mais dûment approuvé par les deux parties, à savoir l'intéressé et l'Etat allemand. Mais le Diable avait aussi été de la partie, invisible, perfide, et alors que d'une poignée de main franche échangée avec son supérieur, Dreinberg avait scellé son destin, le nouvel agent avait vendu une part de son âme, perdant de son humanité déjà bien amochée par les mois de services dans les troupes de l'armée de terre. Pour tuer quelqu'un de sang froid, te tenir face aux menaces, à la possibilité de déclencher une guerre en perdant une information ou en ratant une cible, voilà qui blindait votre coeur sous une épaisse couche de plomb appelée par les plus dandys "flegme", par les autres "froideur".

Mais la vie autour, elle, n'avait pas cessé pour autant ses rondes joyeuses et audacieuses, et c'était peut-être pour cela que l'Allemand avait tant de mal à réellement s'entendre -ou du moins à feindre aisément une relation bon enfant- avec Elia : elle représentait tout ce qu'il n'était pas, n'était plus, et ne pourrait plus être jusqu'à nouvel ordre. La jeune passagère suivait ses passions et son coeur, voyant le bon côté partout et en toutes circonstances, chez les êtres humains comme dans les circonstances et les choses ; parfois, Franz avait juste envie de briser ce bel état d'esprit, avec un pragmatisme aussi violent qu'acerbe, de lui ouvrir les yeux sur ce monde cruel, ce véritable monde où il suffisait d'un "oui" pour effacer une personne du monde, de ce cercle de lumière qu'elle croyait être la seule composante de l'univers. Oui, dans la vision de la demoiselle, des créatures comme lui n'existait pas. Et pour s'affirmer, pour la convaincre et se convaincre de sa tangibilité, l'espion contrecarrait ses opinions, la faisait sortir de ses gonds. Pour lui, ça ne représentait qu'un petit jeu, l'utilisation de son pouvoir de manipulation afin que celui-ci ne rouille pas de trop. Cela pouvait-il cependant être plus profond, plus grave docteur ?

Bref, quelles que soient les causes réelles de tout ceci, sachez que l'infiltré dédia un regard pour le moins blasé à sa vis-à-vis dubitative : pauvre petite chose, ignorait-elle que sous les apparences trompeuses d'ange se cachait bien souvent un démon ? Certes, Elia constituait le contre-exemple parfait à cette maxime, mais de là à se montrer si naïve... En même temps, il fallait bien justifier la relation à sens unique et gorgée d'hypocrisie la liant avec Emma Gardner. Cependant, en silence, il l'observa pour la première fois franchir la ligne rouge. Surprenant. Plaisant. Une infime modification dans son expression signifiait tout cela. Une fois que le gêneur fut envoyé au diable vauvert, il le lui confia :


-Je ne vous savais pas capable de mauvaises actions, mademoiselle Bradbury... Quand bien même ne serait-ce pas la première fois, prenez garde, vous risqueriez d'y prendre goût.

Et de devenir comme Emma, comme ces premières classes avides de contrôle omnipotent, comme toutes ces petites gens que la pauvreté rendait aigres et prompts à la méchanceté. Comme lui.

-Il s'en remettra, assura Franz avec une désinvolture ferme, comme si le départ de l'employé équivalait à sa disparition pure et simple de la surface de la terre.

Sa perdition ne pourrait servir de passe-temps temporaire quoi que divertissant, puisque le but justement consistait en son éloignement le plus grand possible, mais le répit obtenu justement grâce à ce dernier s'avérait tout de même de pris, infiniment reposant, et digne de rendre le retour du steward plus insupportable que tout ce qu'il était possible de se figurer.

Heureusement, Elia, par une remarque des plus banale, lui évita de songer à ces "retrouvailles" futures dont l'idée l'aurait rendu, à la longue, d'une humeur glaciale.


-Une arme d'appoint improvisée à la hâte plus qu'autre chose, plaisanta l'étranger avec un fin demi-sourire, une part de lui-même des plus sérieuses assurant pourtant que le tueur sommeillant en lui aurait été parfaitement capable de tuer quelqu'un avec ces simples feuilles.

ça aussi, c'avait fait partie du contrat : apprendre que des objets du quotidien les plus futiles pouvaient devenir des engins meurtriers entre des mains expertes...


-... Mais il est vrai que les nouvelles ne sont plus très fraîches. Lire entre les lignes permet néanmoins de temps à autres de tromper l'ennui... J'ai cependant bon espoir que nos radiotélégraphistes nous en obtiennent de plus actuelle primeur.

Espoir... Non, ça aussi, il y avait renoncé, car il fallait être aussi efficace que pragmatique : il s'agissait de volonté, pure et simple, celle d'obtenir une voix à l'autre bout des ondes, via les canaux ordinaires, ou ceux plus secrets des services allemands.
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MessageSujet: Re: « L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg   « L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg EmptyMer 31 Juil - 15:04

Miss Bradbury avait toujours été considérée comme l'archétype même de la jeune femme sage, et incapable de faire le moindre mal. Il faut dire que dès le berceau, ses parents se sont toujours comportés comme les êtres les plus doux du monde, et ne se sont jamais montré violent devant leur fille unique. Cette dernière a toujours été chouchoutée, et presque rien ne lui était refusée. Comme son amie Emma, elle aurait très bien pu en vouloir toujours plus, quitte à devenir la plus détestable des personnes ! Mais bien heureusement, elle avait su rester cette gentille petite fille toujours souriante et remplie de bonne volonté. L'enfant parfaite, comme dirait certains ! La perfection n'existant néanmoins pas, il fallait bien avouer que le petit air candide d'Elia possédait quelque chose de particulièrement... agaçant. Croyant tout et n'importe qui, il était facile de la faire marcher et se moquer d'elle sans qu'elle se rende compte de quoi que ce soit ; au grand désespoir de ses proches. Ces derniers ont été les derniers à imaginer la jeune femme dans le monde impitoyable du théâtre, où la pression et la concurrence se trouvait partout, même entre deux comédiens se pensant meilleurs amis. Pourtant, elle a su leur prouver dès le premier jour, que malgré son caractère plutôt faible, elle savait s'imposer et était plus déterminé que jamais à vivre de sa passion.

Aucun mot vulgaire, aucune menace, ni aucune intention de faire du mal n'avait émanée de la blondinette, qui au lieu de s'énerver, préférait une remarque bien placée pour faire taire son interlocuteur. Quant à sa réaction face à quelqu'un de bien trop imposant... La fuite ? Oui, parce qu'au lieu de se laisser entraîner vers un affrontement trop violent, il lui arrivait de fuir le mal, et de paraître ainsi encore plus faible qu'elle ne l'était. Et pour vous dire la vérité, même si une légère humiliation en ressortait, elle ne regrettait aucunement d'avoir éviter un quelconque problème. C'était bien Elia, ça.... Contourner un maximum de possible ennuis et continuer comme si de rien était, pour se sentir au plus mal lorsqu'ils lui tombaient dessus. L'état dans lequel elle se trouvait en ce moment même le prouvait bien : en mentant à ce pauvre garçon, nul doute s'attirait-elle les foudres de ce dernier, s'il venait à se rendre compte par Lady Palmer qu'elle l'avait dupé. Et ciel, ce qu'elle n'aimait guère être dans la liste rouge de quelqu'un ! Alors, quand son voisin de table lui dit qu'elle pourrait recommencer une nouvelle (voir plusieurs) fois, l'anglaise ne pu s'empêcher d'esquisser un petit sourire nerveux, ses doigts relâchant tout doucement son calepin. Le pauvre a faillit se voir déchiqueter par les ongles de sa propriétaire...


-Je ne sais pas si l'on peut appeler cela une mauvaise action... Dit-elle, les yeux rivés vers sa tasse, avec laquelle elle s'était mise à jouer. Après tout, ne souhaitiez-vous pas qu'il vous laisse un peu respirer ?

Elle réussit à retrouver un sourire plus franc et croisa ses jambes sous la table, histoire d'être parfaitement à l'aise.

Ce que la comédienne venait de répondre était un moyen pour elle de se réconforter, sur le fait que son acte ne soit pas si malveillant qu'il en avait l'air. Même si, en connaissant Elia, cela avait tout l'aide d'un véritable génocide...

Les rayons de soleil se firent de plus en plus imposant sur la table, faisant danser quelques pelotes de poussières sur leurs champs. Comme quoi, même un navire aussi imposant et luxurieux que le Titanic possédait quelques petits défauts. Enfin, petits... Ils avaient réussi à s'échouer lamentablement contre un iceberg...


-Je ne souhaiterais pas rendre vos espoirs vains, mais cela fait des mois que les radios n'ont pas fonctionnée avec...

Elia inspira profondément, avant de reprendre :

-... Avec l'autre monde.

Celui auquel ils avaient appartenu pendant si longtemps, les vivants, ceux qui pouvaient encore profiter de la vie et aller où bon leur semblait ! Tandis qu'eux, pauvres âmes errantes, étaient attachées au paquebot ayant conduit à leur mort. Cela lui faisait peut-être du mal de l'accepter, mais il fallait se rendre à l'évidence : jamais elle ne verrait la fabuleuse ville de New-York, jamais elle ne réaliserait enfin son rêve, et jamais elle ne reverrait ses parents. Si seulement elle pouvait avoir de leurs nouvelles, savoir comment ils allaient et s'ils avaient réussi à dépasser l'horrible annonce de sa disparition ! Elle ne le saura jamais, encore et toujours : jamais.

-Vous faites partie de ces personnes pensant que nous voguons et arriveront un jour ou l'autre à terre, n'est-ce pas ?

Les yeux gris de la demoiselle se posèrent sur ceux bleus du pseudo professeur de langue.

-Les choses sont bien trop étranges ici pour que ce soit le monde que nous connaissions.

Et il était inutile d'avoir lu un grand nombre de romans pour s'en rendre compte.
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MessageSujet: Re: « L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg   « L'imagination exige de penser » || Franz H. Dreinberg EmptyVen 6 Sep - 18:40

Franz avait rarement rencontré des personnes comme Elia Bradbury. Oh, rassurez-vous, son univers ne se limitait pas à des gros bras patibulaires, ou à des militaires plus raides que les murs d’un château fort. Tout un tas de créatures plus différentes les unes que les autres avaient traversé son existence, pour un instant ou un peu moins, et parmi elles, l’on pouvait heureusement compter des personnes que l’on aurait pu rattacher à l’idée si subjective du « Bien ». Vous savez, ces êtres avec un bon fond, que l’on percevait dès la première conversation, par la chaleur de leur sourire, l’aura de gentillesse les entourant comme un voile doré… Ceux qui vous donnent l’impression de sortir d’un conte pour enfants, tellement tout le monde se voyait beau et adorable dans leur vision des choses. Oui oui, ceux-là.

Comprenez alors que le choc entre l’Allemand et la jeune femme n’avait pu être que total, du point de vue intellectuel. Depuis toujours, il espionnait, tuait, manipulait, au nom d’un Gouvernement de menteurs et de profiteurs, tandis qu’elle… Elle avait suivi sa patronne avec docilité durant tout ce temps, sans piper mot, en baissant la tête avec un sourire aimable aux lèvres, avant de finalement se dire que, éventuellement, il serait plus sympathique de suivre sa propre route. Abandonner son emploi pour le théâtre avait dû être de loin la chose la plus contestataire qu’elle ait jamais entreprise, la chère enfant. Sincèrement, rien qu’en y repensant, Dreinberg en aurait presque eu envie de rire.

La voir mal à l’aise concernant le steward était aussi divertissant : quelle adorable demoiselle, pour ainsi se chercher timidement une excuse, pour un simple mauvais tour joué à un employé à qui elle n’adresserait peut-être jamais plus la parole… L’espion et elle, c’était vraiment le jour et la nuit. Celui-ci s’en rendait à chaque rencontre un peu plus compte, et s’en sentait plus sûr de lui : pouvoir se détacher de toute scrupule vous rendait puissant, particulièrement à l’aise, car quoi qu’il advienne, soit vous aviez la liberté d’user d’autant de vilénies que vos adversaires, soit vous aviez sur eux, dans le cas où ils n’auraient su franchir certaines limites, un avantage indéniable, vous qui vous plaisiez à bafouer l’honneur autant que les codes moraux. Pas dit que cela rendrait au final l’étranger plus heureux que la miss. Mais il fallait avouer que cela lui simplifiait énormément la tâche.


-Vous pouvez faire passer cela pour un service que vous m’auriez rendu, si cela vous convient mieux, nota négligemment l’agent, tout en portant la tasse à ses lèvres. Quoi que je vous aurais plus vue me conseiller de lui faire plaisir en supportant le sourire aux lèvres son babil qui, visiblement, lui tenait très à cœur.

Il avait dit cela sans mesquinerie, énonçant un fait véridique : qui mieux qu’Elia aurait pu lui enseigner l’art typiquement féminin de l’oubli de soi, au profit du bonheur d’autrui ? Mais cessons là ces taquineries un peu cruelles ; il n’y avait aucune gloire à juger durement le bon caractère de quelqu’un. Quelque part, Franz aurait pu être à sa place, si une infinité de « si » nous avait permis de modifier les moindres détails de son passé, et d’en faire un homme foncièrement honnête, sans sombres projets, ou trace d’ombre en son cœur…

Même avec la magie des suppositions cependant, et les talents cachés de la blondinette, la tâche aurait été rude. Rien qu’à voir la façon dont Franz roula des yeux à l’évocation de leur état supposé de revenants, l’on sentait à quel point son tempérament, conforté par des années dans l’armée et une formation d’espion au-delà de tout ce que l’on pouvait imaginer, ne serait jamais capable d’accepter ce genre de choses, quand bien même seraient-elles parfaitement avérées. Saint Thomas, vous voilà réincarné !

Franz attendit néanmoins la fin de la tirade d’Elia, la contemplant de façon trop désabusée pour que son silence lui-même ne répondît pas à sa question. Cette conversation, ils l’avaient déjà eue… Ou du moins le croyait-il, lui pour qui l’avis quant à toutes ces sottises avait été arrêté il y a longtemps.


-Oui, effectivement, on ne peut rien vous cacher, répliqua l’Allemand avec une légère pointe d’orgueil, qui n’aurait su pourtant troubler son flegme. Parce que vous jugez que croire à notre mort est quelque chose de moins étrange ? Mais que sommes-nous, au fait ? Des sortes de fantômes, des damnés ? C’est absolument plus réaliste, en effet.

Ah, l’ironie… Un revolver invisible, sans nul doute. Remarquez, si cela amusait Franz ne manipuler à longueur de nuit la radio du bord pour tenter de joindre qui que ce soit, grand bien lui fasse, au moins ne s’en prenait-il à personne pendant ce temps.

Secouant imperceptiblement, ses yeux se posèrent sur le journal, un hebdomadaire irlandais qu’il n’avait pas encore parcouru, et cependant d’ores et déjà ennuyeux, rien qu’à sa première page. Du nouveau, voilà ce à quoi Dreinberg aspirait, par déformation professionnelle, un espion ayant deux trains de retard en matière d’informations de toute sorte étant un espion mort, ou quasi. Il revint cependant à son interlocutrice, sans un soupir, quoi que cela n’aurait point été mal assorti avec son expression un peu plus songeuse.


-Nous avons chacun nos convictions, mademoiselle. Et il semblerait que nous ne soyons pas prêts d’en démordre. À quoi bon alors en débattre ?

Car c’était également la marque du sage, que d’éviter un combat stérile… Ou celle du quidam que l’idée de perdre son temps irritait un brin, aussi. Miss Bradbury avait été d’une utilité indéniable tantôt, mais jouer à deux à la conversation de sourds ne l’aiderait pas à prouver que tous ces illuminés avaient tort.
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