Ah les hommes ...

L'air était bon en ce début de journée, et Johanna en avait profité pour sortir un peu. L'air dans la cabine qu'elle partageait avec Anthony était irrespirable pour la jeune femme: il lui était dur de vivre un vie conjugale saine et heureuse en sachant ce qu'il se passait avec Madeleine Léonard. Bien que Georgiana lui ait remonté maintes fois le moral à ce propos, la jeune femme ne cessait de les imaginer ensemble. Elle qui avait tant attendue pour pouvoir vivre son amour au grand jour avec Anthony ... La vie était parfois injuste. Sa récente rencontre avec Marcus lui avait prouvé qu'elle était capable de se battre pour ce qu'elle voulait, qu'elle valait autant que n'importe quelle jeune femme du navire. C'est pourquoi Johanna avait décidé de reprendre sa vie en main ! Elle avait reprit ses aiguilles et proposait désormais ses services en tant que couturière, pour les dames de première classe principalement.
La vie de fantôme semblait enfin se diriger vers une fin heureuse: elle était très appréciée de tout le monde sur le bateau, pouvait exercer librement son travail et n'avait plus à se cacher de rien. Seule ombre au tableau, Anthony et cette Madeleine.

Le fait de penser à cette dame mis Johanna hors d'elle ! Comment cette petite ingrate osait s'attaquer à un homme marié ? N'avait-elle donc aucune honte ? User de ses charmes pour détruire un couple heureux, c'était vraiment une répugnante manière de se rassurer sur l'efficacité de son pouvoir de séduction.
Ce fut sur ces pensées noires qu'une Johanna furieuse sortie de sa cabine. Quoi de mieux qu'un bon bol d'air pour se détendre ? Remettant les aiguilles de son chignon en place, elle s'en alla d'un pas décidé vers les escaliers. Depuis le naufrage, elle n'aimait pas trop les ascenseurs: elle se souvenait de ces personnes, ces femmes et leurs enfants qui étaient restés coincé dans des ascenseurs alors que l'eau montait. Leurs cris avaient été un déchirement pour Johanna, mais elle n'aurait rien put faire pour eux.
Et malgré le fait qu'elle soit déjà morte, elle ne pouvait s'empêcher de penser que ces machines était de petites prisons. Bien que les escaliers soient moins rapides, elle s'y sentaient plus en sécurité. Elle remonta la jupe de sa robe sur ses genoux pour grimper plus vite et se retrouva sur le pont A, ce qui avait été, à une époque, un pont réservé au Première Classes.

S'accoudant à une barrière, Johanna Mullen regarda le ciel et cette eau si bleue, si clame. On était bien loin des vagues gigantesques qui avaient englouties le navire un an auparavant. Ce paysage digne d'une carte postale lui rappela un moment de son enfance: quand avec sa mère, elles se promenaient le long de la rue principale. Une fois, devant la librairie exposait un homme vendant des cartes postales: il voyageait beaucoup et sa passion pour la photo lui permettait de voir du pays en proposant cela sous forme de carte comme des lettres. L'une de ses cartes, bien qu'en noir et blanc, montrait un soleil se reflétant dans une étendue d'eau calme.
Ce souvenir raviva chez Johanna, une vague de nostalgie. Sa famille lui manquait, qu'étaient-ils devenus ? Savaient-ils qu'elle était morte ? Pensaient-ils toujours à elle ? Dire qu'elle avait tout quitter pour un homme ...

"Johanna !"

Elle se retourna et vit, à quelques mètres, Alexandrine venir vers elle. Elle lui adressa un franc sourire. Alexandrine faisait partie de ces gens que Johanna avait rencontrés très récemment: après le naufrage, elle avait tendance à rester qu'avec des gens qu'elle connaissait de peur de devoir faire face à une réalité qu'elle ne supporterait pas.

"Comment te portes-tu ?"

C'était, généralement, la question que redoutait la jolie rousse. Elle n'aimait pas étaler sa vie sentimentale: tous savaient qu'elle avait fuit l'Irlande avec Anthony car ses parents n'acceptaient pas leur amour, et la plupart voyait souvent le jeune homme avec Madeleine Léonard, mais aucun n'osait venir rappeler à Johanna que son mari fréquentait de trop près cette jeune femme. Pour cela, elle les en remerciait: douter de la fidélité de l'homme qu'on aime n'est pas chose aisée, mais que cela soit exposée au grand jour l'aurait gêné profondément.

"Bien et toi ? Cela fait longtemps que je ne t'ai pas vu ! Quel ravisant chapeau !"

Johanna ne savait pas vraiment quel avait été le métier d'Alexandrine avant sa mort, et ce n'était pas très délicat de le lui demander alors qu'elles se connaissaient à peine. Mais la jeune femme avait un don certain pour la mode. Elle lui avait parlé une fois de cette passion qu'était, pour elle, la création. Mais jamais elle n'avait put admirer ces oeuvres ...

Preuves, s'il en fallait encore, qu'Anthony prenait trop de place dans son esprit. Ah les hommes ...

Ah les hommes ...

Une dame qu'elle n'avait vu qu'une fois venait de s'approcher d'elles. A vrai dire, même si Johanna n'avait rencontrer cette élégante femme qu'une seule fois, elle ne pouvais l'oublier ! C'était un an jour pour jour après le naufrage, alors qu'ils étaient tous réunis dans le restaurant des premières classe ... Un hurlement, une foule se retournant sur Sacha et cette femme. Cette femme qui l'avait accusé de choses horribles.

Passé le choc de cette vision, Johanna sourit des paroles de la Comtesse, on ne dirait pas, à la voir, qu'elle pouvait tenir des propos de ce genre. Johanna avait toujours imaginer qu'une comtesse devait suivre une grande suite de règles: se tenir droite, être toujours bien habillé, faire attention à la manière dont on parle ... Et pourtant, cette dame face à elle ne semblait pas du tout mal à l'aise de part ses propos. Bien au contraire. Ce mélange d'élégance et de sans-gène provoquait chez Johanna un fou-rire intérieur ! Cette femme qui l'avait tant impressionnée la première fois n'était qu'une femme comme les autres et parfois, on en oubliait que les premières classes étaient des êtres humains comme les autres et non pas des poupées de porcelaine agitées par un marionnettiste. Une fois la carapace de bijoux et de beaux vêtements, cette femme restait malgré tout une vielle dame et cette répartie insolente lui rappelait sa grand-mère. Le souvenir de sa vie passée suffit à lui donner une bouffée de mélancolie. Dire que tout cela était à cause d'Anthony ...
Non ! Elle ne pouvait parler comme cela ! Anthony était son mari après tout, elle se devait de l'aimer sans limite et de lui faire confiance.

"Et bien, madame, il me semble que courir les jeunes hommes ne sont pas des préoccupation de femme mariée, malheureusement. "

Sur ces mots, elle lui montra son alliance. Cette bague avait une grande symbolique pour Johanna: Anthony l'avait eut de sa mère, l'une des rares personnes au courant de leur fuite, qui lui avait remis lorsqu'il lui avait exposé son plan. Il voulait épouser sa belle, une fois le pied sur le sol américain, la ou personne ne viendrait les juger. Johanna avait été émue aux larmes lorsqu'Anthony lui avait donné cette bague, tout comme le jour où il la lui avait passé au doigt: c'était la réalisation de son rêve le plus cher, remplacé par un qu'elle n'aurait jamais la chance de réaliser: avoir un enfant.

"Mais je ne doute pas que mon amie soit intéressée par ce que vous dites, n'est-ce pas Alexandrine ?"

Ces mots firent prendre conscience à Johanna qu'elle ne connaissait pas tant que cela son amie. Elle ne savait pas si Alexandrine avait été mariée ou non avant le naufrage, si elle avait un homme dans sa vie ou si elle avait un membre de sa famille sur le bateau le jour du naufrage. Elle ne savait pas si la demoiselle avait elle aussi des regrets dans sa mort, ou si, au contraire, elle profitait pleinement de sa vie de fantôme ... Comme elle-même avait put en être heureuse quelques mois auparavant.