Depuis que Jack était réapparu dans son existence, toute sa vie s’en était trouvée chamboulée. Elle ne savait plus que penser, ni que faire. Elle était totalement perdue et son esprit la torturait sans cesse. Et puis il y avait ce paquebot de malheur qui semblait se jouer d’eux à chaque instant. De nouveaux événements inattendus et incompréhensibles venaient troubler son quotidien déjà bien ébranlé. Si bien qu’elle ne savait plus où donner de la tête.
Bien heureusement, elle avait la chance de retrouver des instants de plénitude en la compagnie de ses nombreuses amies. Autant ses anciennes, comme Ann-Elizabeth, Victoria et Mary, que ses amies qu’elle s’était faite sur le paquebot. Elle pouvait dénombrer Georgiana, Lisbeth, la charmante Nayah ou encore l’exotique Blanche. Elle parvenait à trouver un semblant de sérénité qui lui faisait chaud au cœur. Et même si ses amies étaient de très bonnes confidentes, elles étaient aussi pour la blonde au moyen de mettre ses problèmes de côté pour passer un bon moment. Elle n’avait plus à songer à Jack, Lydia ou encore Peter dont sa relation avec lui la troublait de plus en plus. Si Héloïse ne connaissait pas la haine profonde que les deux hommes se vouaient, elle aurait bien cru qu’ils s’étaient donnés le mot pour la faire tourner en bourrique. Il relevait presque du miracle qu’elle n’est pas encore perdue la raison.
La blonde appréciait notamment le fait que son amitié avec Nayah se soit affirmée. Même si les circonstances avaient été tragiques, cet épisode à la soirée de poker avait permis à leur relation d’évoluer. Son affection pour la jeune femme était beaucoup plus profonde et elle se faisait presque un devoir de la protéger désormais. Elle aimait d’autant plus la jeune femme qu’elle ne lui avait pas tenu rigueur de sa conduite envers Pernelle. Leur amitié n’en avait pas été entachée. Cependant, elle avait bien peur que sa réputation auprès de Blanche O.Clive ne s’en trouve que bien mauvaise.
Elle pensait que la jeune femme aurait pu avoir une mauvaise opinion d’elle et donc, quelle ne fut pas surprise lorsqu’elle reçut une invitation de la part de la seconde classe à une petite après-midi entre femmes dans sa cabine. L’idée lui avait paru sympathique et la blonde était toute excitée à l’idée de s’y rendre. Le rendez-vous était pour le lendemain. Ainsi c’est dans l’impatience la plus totale qu’elle dut attendre que le jour d’après vienne pour enfin se vider la tête. Certainement retrouverait-elle son amie Nayah pour ce divertissement entre femmes.
Le lendemain, elle s’était préparée au mieux pour essayer de faire tout de même bonne impression. Nayah était une première classe et Blanche une seconde classe dont la situation sociale était très proche. Seule Héloïse se trouvait de la troisième classe, et même si son éducation de Comtesse subsistait toujours, ses vêtements ne suivaient pas vraiment l’étiquette.
Elle avait tout de même tenté de faire un effort. Elle avait sorti l’une des plus jolies qu’elle possédait mais comme celle-ci pâlirait certainement face aux toilettes de ses compagnes, elle misait tout sur la coiffure, s’essayant à un chignon sophistiqué qu’elle avait l’habitude de faire quand elle était encore la richissime Comtesse de Neuveille. Elle ne voulait pas avoir à trop rougir de sa condition.
Enfin, lorsqu’elle jugea qu’elle était désormais prête, elle sortit de sa cabine. Elle s’engagea tranquillement vers les quartiers des secondes classes quand tout à coup, elle aperçut Jack au loin. Son cœur fit un bond dans sa poitrine et elle tourna immédiatement les talons. Elle ne voulait pas le rencontrer, surtout après ce qu’il s’était passé entre eux dans le garage des automobiles. Elle était bien trop gênée et elle savait qu’elle ne saurait comment réagir si elle tombait sur lui. Devrait-elle feindre de faire comme si de rien n’était ?
Par chance, le blondinet ne l’avait pas vu et elle put continuer sa route sans encombre. Ses joues étaient rougies par l’émotion alors qu’elle venait tout juste de l’apercevoir. Qu’est-ce que ce serait la prochaine fois qu’elle devrait lui parler ? La blonde préféra ne pas y songer. C’était une journée sans soucis, ni prise de tête. Elle ne devait pas s’encombrer l’esprit avec toutes ses questions.
Finalement, elle arriva jusqu’au couloir des cabines des secondes classes. Le carton d’invitation entre ses mains, elle chercha le numéro de la chambre qui était indiqué et elle le trouva enfin. Elle frappa donc à la porte qui ne tarda pas à s’ouvrir.

« Bonjour, j’espère ne pas vous avoir trop fait attendre. J’ai malheureusement dû faire un petit détour durant mon trajet. » fit-elle avec un sourire radieux.

Je me levais le matin, pour une fois, heureuse. La perspective de passer mon après midi avec Blanche et Heloise en était pour beaucoup. La veille, j'avais reçu cette invitation dans lequel mon amie asiatique nous invitait. Cela tombait au meilleur des moments ou j'étais en plein tourment. Il y a quelques jours encore, je venais de commettre un acte horrible : j'avais tué de mes propos mains la jolie Esther et son amie Lisbeth. Pourtant, je ne me souvenais de rien pratiquement. Il y a peu, J'étais montée sur le nid de pie ou les deux jeunes femmes s'y trouvaient également. Nous avions un peu parlé quoi que l'atmosphère était teinté d'une animosité venant de Lisbeth et moi même : cette dernière m'en tenait rigueur du comportement que j'avais envers Jules, elle ne pouvait nullement comprendre puisqu'elle défendait mon mari sans se douter un seul instant de ce que je pouvais ressentir. À un moment de notre entretien, nous avions senti une légère brise et après cela, c'était le trou noir. Je ne me souvenais plus de rien. Lorsque j'avais repris conscience, une mare de sang gisait à mes pieds et les cadavres de mes compagnes étaient à mes pieds. J'avais cru comprendre que tous les revenants avaient eu un comportement violent et meurtrier ce soir là. Mais la question était pourquoi? Et aussi comment? Moi qui n'osait tuer un innocent, c'était chose faite désormais. Au moins, j'étais rodée pour ma prochaine victime... Mais ce n'était pas le moment d'y songer et je secouais la tête, chassant mes mauvaises pensées.

Regardant dans mon armoire, je pris alors une robe simple. Depuis mon arrivée, j'avais refusé de porter des bijoux, de me vêtir de ces robes surchargées, je préférais m'habiller simplement. La, était le signe d'un fossé entre le monde de Jules et le mien. Quand tout le monde voyait en moi, la madame Gallagher, je préférais que chacun ne voit que Nayah. Voilà aussi une des raisons faisant que j'appréciais énormément Blanche: elle me connaissait depuis un bout de temps et elle savait que j'étais une personne simple. Notre amitié s'était renforcée quand elle avait su ce que j'avais fait pour sa fille Charlotte après sa mort sur le bateau. Et bien encore, malgré les tourments que je traversais dans mon couple, Blanche me soutenait.
Et puis, il y avait Heloise aussi. Rencontrée à un moment humiliant pour moi mais révélateur. Par les blessures causées, nous nous étions liées, amies à la vie, ce n'était plus un fait mais une absolution qui ne changerait pas. Je me souvenais encore quand elle m'avait raccompagnée à ma cabine et qu'elle y avait dormi. Cette discussion sur nos vies respectives avait pris toute une nuit mais elle avait jeté les bases d'une solide amitié. Ainsi, j'étais vraiment contente de venir bien que je craignais qu'elles me parlent du coup de folie des revenants. La crainte de les perdre me donnait une boule noueuse dans le ventre.

Je partis en direction de la cabine de Blanche ou par chance, je ne rencontrais personne que je connaissais. Dieu merci. Puis, arrivée, je toquais à la porte ou Blanche m'ouvrit. On se prit mutuellement dans les bras tant nous étions contente de nous voir. Mais avant que je ne puisse dire mot, quelqu'un avait à nouveau tapé à la porte. C'était Heloise. Nous nous saluâmes chaleureusement et j'en profitais alors pour leur dire:

" Comment allez vous mes chères amies? Je suis si contente d'être avec vous ! " en leur offrant un sourire rayonnant de bonheur.

Héloïse était d’autant plus enthousiaste de passer une après-midi entres amies, que ces amies étaient Blanche et Nayah. Certes sa relation n’était pas encore très profonde avec la belle asiatique, mais elle comptait bien sur aujourd’hui pour l’étoffer. Et puis elle passait un temps loin de ses problèmes, loin de tous ces sentiments qui lui dévoraient le cœur et lui déchiraient l’âme. Elle voulait seulement penser au bonheur d’être en bonne compagnie. Comme autrefois lorsqu’elle était avec Mary, Ann-Elizabeth, Marianne et Victoria. Cette flopée de petites filles avaient passé de si bons moments ensembles. Héloïse ne comptait même plus toutes les gardens parties, les réceptions, les galas, les cérémonies où elles avaient eu la joie de toutes se retrouver pour des instants de purs délices.
Et cette fois, la blonde espérait bien retrouver les mêmes émotions, la même plénitude qu’elle ressentait quand elle était auprès de ses amis d’enfance. Car même si chacune avait ses problèmes et ses douleurs, elles pourraient certainement parvenir à trouver de la joie où il n’y en avait plus. Elles devaient se serrer les coudes et offrir un avenir plus prospère : celui de l’amitié. Héloïse songeait surtout à Nayah, dont cette situation sur le Titanic était toute nouvelle. Elle avait perdu tout ce qu’elle avait construit après le naufrage et elle se retrouvait ici, hantée par ses vieux démons et surtout son mari, Jules. La situation des revenants étaient presque pires que la leur. Comment parvenir à évoluer dans le passé alors que nous étions parvenus à bâtir un futur ? Si le retour des revenants avaient conduit à d’heureuses retrouvailles, ce n’était malheureusement pas le cas pour tout le monde. Et aujourd’hui, Héloïse comptait bien remonter le moral de son ami et lui prouver une fois de plus sa profonde amitié et son soutien indéniable.

Enfin la porte s’ouvrit et ce fut Blanche qui apparut. Héloïse lui offrit un sourire flamboyant, l’embrassant. Puis lorsqu’elle pénétra dans la cabine, elle remarqua que Nayah était déjà arrivée. Elle la prit alors dans ses bras, manifestement sa joie de la revoir.

« Moi aussi je suis si contente d’être avec vous. » s’enthousiasma la blonde le plus sincèrement du monde. « Je vais bien, et toi ? Comment vas-tu Nayah ? »

La question avait été posée sur un ton enjoué, mais il était tout de même aisé de desceller que la troisième classe faisait surtout référence aux derniers évènements et surtout de savoir si elle s’était bien remise. Jules lui avait-il causé d’autres ennuis ?
C’est alors que la belle Blanche se dirigea vers une grande garde-robe et en tira une première robe. Héloïse resta totalement saisie devant la splendeur de la première. Certes, en étant comtesse, elle avait été habituée à porter de somptueuse toilette, mais l’exotisme de cette dernière était totalement inédit pour elle. La seconde qu’elle sortit de l’armoire était plus simple, mais tout aussi magnifique que la première.

« Votre mari est un vrai artiste Blanche ! Regardez-moi ces créations ! » fit la blonde avec émerveillement, tout en caressant les étoffes du bout des doigts, comme de peur de leur abîmer. « Elles sont sublimes. Je ne me souviens pas en avoir eu de plus belles... »

Héloïse se raidit soudain. Quelle idiote ! Pourquoi avait-elle dit ça ? Pourquoi avait-elle fait référence à son ancienne vie ? D’habitude elle était plus prudence que cela tout de même ! La blonde se maudit intérieurement et pria pour que ces deux n’aient rien relevé de son égarement.

« Enfin je veux dire…  en avoir vu de plus belle. » se corrigea l’ancienne comtesse avec un sourire peu crédible en se retournant vers Blanche et Nayah. Puis elle poursuivit, essayant de reprendre de la contenance. « En tout cas, merci beaucoup pour votre générosité Blanche. »

Son attention fut à nouveau happée par les deux superbes toilettes qu’elle détailla encore, les yeux remplis d’étoiles. Tout à coup, son ancienne vie lui manqua. Les belles robes, les belles coiffures, les belles parures…  Elle se tourna ensuite vers la revenante, d’un air enjoué.

« Nayah, pourquoi n’essayerez-vous pas la robe rouge ? Elle vous irait à ravir, surtout avec votre si beau teint ! »

Nous étions manifestement toutes heureuses de nous voir. La perspective de cet après midi avait ajouté un peu de lumière dans ce monde bien obscure dans lequel je vivais. Chaque jour était un combat devenant de plus en plus difficile. Etre un revenant n’était en rien le plus mauvais des cadeaux. Je maudissais intérieurement ce bateau et le fait de m’y avoir ramené après ma mort. Cela était même grotesque, le Titanic avait fait partie de nos vies mais la page s’était tournée et nous avions refait notre vie si ce n’est qu’à exception près. Nous étions revenus à une époque désormais oubliée de nos souvenirs. Le plus dur était notre contact avec les autres passagers prisonniers depuis un an. Là ou le temps montrait ses failles. A l’inverse de mon mari, j’avais vécu de longues années, aussi n’avais je compris quand ce dernier m’informa qu’un an seulement s’étai t écoulé. Un an pour lui, toute une vie pour moi. Comme pour Charlotte, la fille de Blanche et Philip, je l’avais élevée. Elle était devenue une adolescente, puis une jeune femme et enfin une mère. Comment pouvait-elle se retrouver dans le corps d’une petite fille de dix ans. Cela devait être tellement dur pour elle et j’admirais son calme apparent. Bien entendu, il n’y avait pas que des points négatifs, j’avais rencontré sur le bateau des gens formidables comme Héloise. Et puis, il y avait Pernelle et tant d’autres également. Le Titanic n’avait pas encore fini de nous surprendre. Pour l’instant, je profitais de cet après midi entre filles et de la sensation de bien être que cela me procurait. Après les salutations chaleureuses, la jeune blonde me demanda si j’allais bien.   Bien. Voilà un mot que j’avais bien oublié face aux coups durs que je vivais. Entre Jules et maintenant, mon double homicide. Je crois qu’il était fort peu probable que je sois en pleine forme. Mais je ne voulais gâcher cet après midi et je crois que l’heure du thé et des confidences  n’étaient pas encore là. Aussi, je fis un sourire à mon amie tout en lui répondant :

« Et bien, j’ai connu des jours meilleurs. Et toi, Héloise ? Je trouve que tu as meilleure mine que la dernière fois.. » Disais je tout en affichant un sourire malicieux. Et puis, Blanche attira notre attention en sortant toutes sortes de toilettes que son mari avait composées. J’admirais toujours autant son talent et j’avoue que bien après sa mort, j’avais toujours conservé avec soin les belles robes qu’il m’avait crée à l’époque ou je n’étais qu’une demoiselle étant le modèle de Philip Clive. Mon amie asiatique avait sorti une tenue bleue et une tenue rouge. Nous proposant de nous les prêter, je la remerciais tout en reportant mon attention sur les tenues. Elles étaient belles à couper le souffle. Héloise en était émerveillée et avoua qu’elle n’en avait jamais portée d’aussi jolie avant de se rectifier : c’était voir et non porter. Je me mis alors à rire.

« Bien sûr  que tu en as déjà porté ma belle Héloise. Chaque femme est une princesse et a déjà porté au moins une fois ce genre de robe que ce soit en rêve ou dans la réalité. » Répondis-je tout en lui adressant un sourire amusé. Dieu, qu’elle était mignonne, je l’aimais beaucoup,  sa spontanéité était une vraie bouffée d’oxygène. C’est alors qu’elle me proposa la robe rouge à essayer. J’acquiesçais : « D’accord pour la rouge, mais tu devras essayer la bleue ! » Et je me rendis alors dans la pièce d’à côté pour essayer la tenue en question. Je souris en constatant que Philip taillait toujours ses robes avec mes mensurations. Elle m’allait à merveille et j’avais hâte de montrer le résultat à mes amies.

« Vous êtes prêtes ???? » Disais-je tout en me mettant à pouffer. Et je sortis. Mais au lieu des compliments auxquels je m’attendais, je vis mes deux camarades me regarder avec stupeur et étonnement. Je me retournais afin de trouver le miroir le plus proche. Et je me vis. La robe que je portais m’avait dégarnie les épaules et le cou à l’inverse de celle que je portais à mon arrivée. Mes épaules et mon cou portaient des griffures et des marques de cou assez importantes et très voyantes. Je réalisais que cela ne pouvait être que le pugilat survenu entre Esther, Lisbeth et moi-même. Elles s’étaient débattues avant de mourir et vraisemblablement, j’en portais encore les stigmates.

Héloïse était heureuse de passe du temps en compagnie de ses amies et manifestement, c’était un sentiment bien réciproque. Elle ne connaissait cependant pas Blanche aussi bien que Nayah, mais elle était contente de constater que leur amitié allait sans nul doute s’étoffer au terme de leur après-midi entre femmes. Et cela permettrait aussi à la belle Nayah de lui changer les idées et de lui remonter le moral. Avec tous les changements qui se déroulaient dans sa vie et qui la rendaient chaotique, il n’était pas étonnant qu’elle soit tout particulièrement déboussolée. Aussi s’était-elle enquis discrètement de son état.
La réponse de la douce asiatique la laissa perplexe mais au moins elle avait fait preuve d’honnêteté en ne prétendant pas être dans son meilleur jour. La blonde comptait bien lui remonter le moral. Puis venir en aide à d’autres personnes, lui permettrait d’occulter un instant ses propres problèmes. Elle ne désirait pas paraître égoïste en ne songeant qu’à ses soucis. La situation était complexe pour tout le monde sur le paquebot et il fallait se serrer les coudes pour ne pas sombrer.
Puis Nayah poursuivit en assurant qu’elle trouvait Héloïse mieux que la dernière fois. La blonde resta étonnée un instant et ne sut que répondre au sourire malicieux de son amie. Elle se contenta donc de répondre par un demi-sourire un peu gêné mais pourtant significatif.
Blanche attira soudain leur attention sur les magnifiques toilettes qu’elle venait tout juste de sortir de son placard. Héloïse et Nayah furent immédiatement sous le charme et ne manquèrent pas de le signifier à leur hôte. Son mari possédait un réel talent !
Ce fut à ce moment précis que l’ancienne comtesse s’égara et se montra pour la première fois imprudente quant à son identité. Elle se reprit immédiatement. Heureusement, il semblait que Blanche n’avait pas relevé cette confusion, quant à Nayah, cela provoqua tout simplement son hilarité. Les paroles qu’elle prononça eurent pour don de mettre Héloïse en confiance et de l’excuser de son manque de discernement. A l’avenir, elle tâcherait de faire plus attention. Elle répondit par un sourire affectueux aux deux jeunes femmes. Puis elle détourna la conversation en proposant à la brune d’essayer la robe rouge. Blanche acquiesça immédiatement et l’asiatique partit donc faire son essayage dans la salle d’à côté, en poussant la blonde à essayer la toilette bleue.

« C’est entendu ! » répondit-elle gaiement tandis qu’elle se retrouvait seule avec Blanche.

Cette dernière proposa alors de l’aider à l’enfiler. Visiblement, elle semblait plus compliquée à mettre que la robe rouge et Héloïse la remercie de son aide. Elle aurait sans doute eu du mal à la mettre sans elle. Si elle savait encore très bien comment on portait les robes traditionnelles de la bourgeoisie anglaise, elle ne connaissait rien à l’art du vêtement oriental. Elle se laissa faire et assista l’asiatique pour la défaire de ses propres vêtements.

« J’ai bien hâte de voir tout cela. » s’extasia Héloïse lorsque Blanche lui parla des accessoires.

Mais la discussion prit bientôt un tout autre tournant. Tandis que l’asiatique s’appliquait à nouer son corset, elle lui exprima ses doutes et évoqua son lapsus. Manifestement, il n’était pas paru invisibles aux yeux de tout le monde et le ventre de la blonde se tordit. Que devait-elle répondre ? Car elle ne comptait surtout pas lui dire la vérité. Même morte, il ne faisait pas bon de s’appeler « Héloïse de Neuveille » à bord du paquebot. La blonde allait s’exprimer mais Blanche avait repris en lui signifiant que son silence ne serait pas grave. Après tout, c’était vrai qu’elle ne se connaissait que peu encore. Tout le monde avait ses secrets et l’asiatique paraissait elle-même pleine de secret si elle en croyait ce qu’elle disait.
Héloïse se tourna alors vers Blanche et lui adressa un timide sourire amical.

« Nous avons tous eu des existences bien différentes avant de se retrouver ici sur le Titanic… » fit-elle sur un ton quelque peu énigmatique. « Et les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être. »

Puis la tenue fut totalement ajustée et Blanche fit quelques pas en arrière pour contempler son ouvrage. La blonde se plut alors à faire un tour sur elle-même comme si elle était une princesse avec un sourire espiègle. Elles allaient s’attaquer à la coiffure quand Nayah se manifesta dans un pouffement.

« Allez montre-toi ! » rit Héloïse en écho, impatiente de voir l’effet que pouvait bien donner cette robe sur son amie.

Elle se tourna vers l’endroit d’où l’asiatique devait sortir et elle resta stupéfaite. Blanche, quant à elle, étouffa un cri de frayeur. Sur le cou et les épaules de la brune se trouvaient des bleus et des hématomes qui laissaient entrevoir une dure lutte. S’était-elle battue ? L’avait-on violentée ? Son sang ne fit qu’un tour dans ses veines mais Blanche prenait déjà la parole en évoquant la rumeur qui circulait depuis quelques temps sur les revenants. Héloïse s’interposa immédiatement.

« Voyons Blanche, comment peux-tu penser une chose pareille de Nayah ? » s’insurgea-t-elle avant de s’approcher de la brune et d’emprisonner le regard de la brune dans le sien, de sorte qu’elle lui dise la vérité. « Est-ce que c’est Jules qui t’a fait ça ?! Il t’a fait du mal ? Je te jure que s’il a quelque chose à voir avec tes blessures, je vais aller lui régler son compte une bonne fois pour toute ! »

A la vue des mes griffures et bleus ornant mon cou, les réactions de mes amies ne se firent pas attendre. Blanche, l'amie la plus chère à mon cœur sembla avoir fait le lien entre mes coups et la tuerie collective des revenants. Chacun de nous avait été saisi d'une folie meurtrière nous ayant poussé à commettre l'irréparable. Depuis, j'étais rongée de l'intérieur par la culpabilité, par la honte d'avoir enlevé la vie à deux innocentes. Je ne voyais là aucun moyen de pouvoir me racheter de mes péchés, de m'effacer cette sensation d'avoir ôter la vie. Certes, je n'aimais pas Lisbeth du fait de son amitié avec Jules mais ce n'était pas une raison pour que je puisse être contente de l'avoir tuée. Bien au contraire, je craignais encore plus le courroux de mon mari, compte tenu de sa complicité avec la troisième classe. Quand à Esther, il s'agissait d'une personne que je trouvais sympathique, nous avions déjà discuté ensemble. Nous n'étions pas les meilleures amies du monde mais nous nous apprécions. Cela me faisait mal de voir que des que je la croisais, elle rebroussait chemin ou m'ignorait. Je savais que tôt ou tard, je devrais affronter sa colère et tentais de me faire pardonner. Il fallait que j'assume mes méfaits bien que je ne puisse dire que j'étais maître de moi même au moment de ma folie.
Face à mes amies, je ne pouvais leur cacher la vérité. De toute manière, elle aurait appris d'une autre bouche. Les rumeurs allaient bon train et j'étais déjà malade à l'idée que toutes deux puissent apprendre la triste nouvelle par une bouche autre que la mienne. Je m'apprêtais alors à répondre à la positive à la question de Blanche quand Heloise la reprit en indiquant que cela ne pouvait être possible. Ensuite, elle se tourna vers moi, soucieuse que je puisse avoir été violentée par Jules. Je fus émue de constater combien elle prenait mon état à cœur. Je la trouvais mignonne de vouloir régler son compte à mon époux mais je devais avouer que, cette fois ci, le pauvre n'y était pour rien.

Face à sa question, je baissais les yeux en signe de honte, n'osant affronter leurs beaux visages que je m'imaginais effrayés ou dégoûtés. Je me tordais les mains et leur répondis:

" Non, Heloise... Blanche a raison... C'est bien en rapport avec cette tuerie des revenants. " disais je tout en contemplant le sol propre de la cabine de mon amie de longue date. Je sentais les larmes perler mes paupières tant les souvenirs de cette nuit atroce affluaient à nouveau. Je me devais de leur donner des explications: " Mais... Il faut me croire! " disais je en relevant la tête, complètement paniquée, ignorant mes larmes coulant le long de mes joues. " Blanche, tu me connais! Tu sais que je ne ferais pas de mal à une mouche. " disais je tout en me tournant vers mon amie asiatique.

Puis, je m'étais retournée afin de fixer le miroir ou je voyais mon propre reflet avec ces horribles griffures et coups. Je leur devais la vérité, c'est alors que je commençais mon récit:

" Un soir, j'étais incapable de dormir et je me suis promenée sur le pont. Je suis montée au nid de pie et c'est là que je suis tombée sur Esther. Ensuite, Lisbeth nous a rejoins. Nous parlions toutes les trois jusqu'à temps que je sentis une brise. Et la soudain, j'ai eu froid... je frissonnais en me rappelant de cette fraîcheur soudaine. Je frissonnais aussi en me rappelant ce qui s'était passé ensuite. Je m'essayais les larmes d'un revers de main avant d'ajouter: " Et soudain, je n'étais plus avec elles. J'avais en face de moi, deux "monstres" qui se moquaient de moi, me menaçaient et pour une raison que j'ignore, je les ai attaqué pour me défendre. Elles ont tenté de me fuir tout en continuant à me murmurer des insanités si horrible qu'elle me brise, aujourd'hui, encore le cœur. "

Je me couvris alors le visage de mes deux mains avant d'ajouter, la voix étranglée par mes pleurs:

" Je les ai étranglées de mes propres mains. Moi qui n'avait aucune force, je n'ai eu aucune difficulté à les tuer froidement. C'est alors que ces deux "monstres" indéchiffrables ont pris leur véritable apparence... Et c'était .... Et c'était... "

Je ne pouvais en dire davantage tant la honte et le remord m'envahissaient. Mais il le fallait, je devais continuer. C'est alors que je relevais mon visage baigné de larmes et que je fixais mes amies. Je balbutiais d'une voix faible:

" Et c'était Esther et Lisbeth... "

Je me sentais si faible et si sale que je désirais être morte et enterrée. Je ne méritais d'être ici et de pouvoir être avec Blanche et Heloise. Suivant ce qu'elles me diraient, je me fixais de rejoindre ma cabine, d'y récupérer l'arme donnée par Scarlett et de tenter de mettre fin à mes jours. Si cela me permettait de ne plus voir le visage accusateur de quiconque, j'aurais alors le courage de le faire pour ne plus importuner les passagers de ma misérable existence.

L’arrivée de Nayah avait fait planer sur leur petite assemblée un vent de stupéfaction. Héloïse était tout d’abord prête à s’extasier de la robe de la jeune femme, quand elle avisa les marques qui meurtrissaient son cou. Le sang de la blonde n’avait fait qu’un tour, se figurant bien entendu que l’auteur de telles blessures ne pouvait être que Jules. Elle avait tout de suite rejeté les hypothèses de Blanche quant au mystérieux phénomène dont parlait la rumeur au sujet des revenants. Nayah ne pouvait réellement avoir tué quelqu’un. C’est pourquoi, elle croyait dur comme fer à la culpabilité de son mari, et elle n’attendait qu’un assentiment de la belle métisse pour se ruer dans la cabine de Jules. Elle lui exprimerait ainsi sa manière de penser, n’étant même pas effrayée à l’idée d’affronter un homme. Après, elle avait bien tué par le passé. Même si c’était une expérience qu’elle ne désirait nullement reproduire, elle savait au moins se défendre. Elle avait appris à se venger et à contrer toutes les desseins des hommes. Elle détestait l’idée qu’ils soient maîtres de tout et insuffler un vent de féminisation sur le paquebot ne lui faisait pas peur.
Les joues de la blonde étaient rouges d’une colère pourtant contrôlée, même si cela risquait de changer bien vite lorsqu’elle serait face à Jules. Elle avait remarqué qu’au cours des années, elle avait perdu ce penchant calculateur au profit de réactions plus impulsives. Elle s’en était rendu compte lors de la soirée poker. Nayah s’était fait frapper par son mari et Héloïse n’avait pas hésité à se précipiter, lui jetant son verre de champagne au visage pour faire bonne mesure. Et s’il avait fallu qu’ils en viennent aux mains, elle aurait tenté de se défendre. Néanmoins, la question ne s’était pas posée puisque Charles s’était jeté sur l’époux jaloux et alcoolisé avant que celui-ci ne puisse rétorquer.
Héloïse était en quelque sorte un peu peinée que Nayah ne lui ait rien dit. Pourtant, cette dernière lui avait promis que si Jules devait à nouveau sévir, elle lui en parlerait. Toutefois, l’ancienne comtesse était loin d’être une idiote et elle connaissait la honte injustifiée qui envahissait l’être des femmes battues. Et c’était souvent ce qui les condamnait au silence. Héloïse remarquait bien que son amie était accablée de honte et que l’angoisse l’habitait. Mais il fallait qu’elle parle.
La blonde était suspendue à ses lèvres, mais les paroles qui en sortirent furent bien différentes de celles auxquelles elle s’entendait.

« Quoi ? » ne put-elle s’empêcher de balbutier.

La blonde en était muette de stupéfaction. Blanche avait raison ? Tout cela avait donc avoir avec la rumeur qui enflait sur le Titanic ? Avait-elle fait partie de cette… tuerie ?
Elle eut instinctivement un mouvement de recul, sonnée par cette révélation qui laissait sous-entendre une vérité encore plus grave. Elle vit soudain les larmes gagner le visage de l’asiatique qui s’anima soudain, se défendant avec véhémence. Elle prit Blanche à partie, puis elle se détourna, ne pouvant certainement soutenir le regard de ces deux amies. Elle paraissait complètement déboussolée. Et enfin, elle débuta son récit, exposant la manière dont les choses s’étaient passées. Héloïse restait totalement stoïque tandis que l’histoire de Nayah progressait. Elle écoutait sans ciller cette histoire à glacer le sang de quiconque. Vraisemblablement, le paquebot avait soumis les revenants à une manifestation surnaturelle qui avait amené la mort de nombreux passagers à bord. Et notamment Lisbeth et Esther, dont Nayah était le bourreau.
La blonde songea alors à l’absence inquiétude de sa camarade de chambre la nuit dernière, toutefois, habituée à ses frasques un peu loufoques, elle n’y avait pas pris garde. Ainsi donc, tandis qu’Héloïse dormait tranquillement, Lisbeth était en train de se faire assassiner par Nayah. Cette histoire était de trop pour la blonde, trop folle… Ce paquebot était manifestement maudit et quelqu’un se plaisait à tirer les ficelles derrière le rideau. Et plus les jours s’écoulaient, plus elle était déterminée à savoir de qui il s’agissait.
Nayah achevait de raconter son histoire et d’offrir une conclusion à ses amies dont elles avaient déjà la perspective. Cette révélation paraissait la mettre au supplice, accablée par la honte et la culpabilité. Ses pleures redoublèrent et Blanche se précipita pour la prendre dans ses bras et la réconforter. Elle essayait de l’exempter de ce crime par tous les moyens et de lui ôter ce sentiment de culpabilité qui l’écrasait littéralement. L’ancienne comtesse observa la scène, la bouche résolument close. Elle sortit néanmoins de son statisme faisant claquer son langue et se détournant. Ses sourcils se froncèrent en même temps que son visage affichait une mine contrariée. Elle poussa un soupir avant que Blanche n’attire son attention. La blonde se détourna et elle repéra rapidement la petite armoire dont Blanche faisait mention. Elle s’y engagea et récupéra trois verres, ainsi qu’une bouteille de rhum. Elle les déposa ensuite sur la table et remplit les trois verres. Elle but d’une traite le sien, puis se resservit afin que tous les verres soient pleins lorsqu’elle les porta à Nyaha et Blanche.
La blonde n’avait toujours rien dit depuis. Elle observa un temps la seconde classe, afin que son regard ne se porte sur le visage ravagé de larmes de son amie. Elle prit une grande inspiration et se détourna, effectuant quelques pas dans la cabine. Une fois de plus, elle fit calquer sa langue.

« Cette situation ne peut plus durer. » lâcha-t-elle finalement en prenant une gorgée de rhum. « Ce paquebot cherche à nous rendre fous et à nous monter les uns contre les autres. Nous ne pouvons pas le laisser faire. Et pour cela, il faudrait découvrir qui tire les ficelles de cette macabre mise en scène car il risque de ne pas s’en arrêter là. Je soupçonnerai bien le Capitaine mais… »

La blonde s’immobilisa soudain, en proie à la réflexion. Elle ne savait pourquoi, mais elle savait que même s’il était un élément important de la malédiction qui se jouait, il n’était qu’un pion sur l’échiquier. Non, il y avait quelqu’un d’autre. Une personne qui se cachait, tapie dans l’ombre.
Héloïse se retourna vers les deux jeunes femmes et revint vers elles, ancrant ses prunelles d’azur dans chacun de leur regard.

« En tout cas, quoi qu’il arrive, nous devons rester unies. Le Titanic ne chercher qu’à nous affaiblir en nous isolant. Nous ne pouvons le laisser faire. Vous comprenez ? » fit-elle, les yeux luisants de détermination.

J'étais anéantie, il n'y avait pas d'autres mots pour exprimer l'état dans lequel je me sentais soudainement. Je revoyais encore ces horribles scènes de ma vie dans ma tête: le corps sans vie d'Esther, le visage macabre et paisible de Lisbeth. Elles n'avaient pas eu le choix, leur vie avait été arraché contre leur gré dans une souffrance sans nom, dans une peur, dans le sentiment d'avoir été trahi par quelqu'un que nous pensions connaître. Je ne les avais croisé depuis cette nuit là, il m'avait semblé voir Esther de loin. Ma conscience me disait d'aller la voir, d'aller s'excuser mais à chaque fois que nos regards s'étaient croisés, la haine et la colère avait pris possession du visage de la charmante gouvernante, au visage pourtant si doux. Cette rage haineuse m'avait tétanisé sur place, j'avais baissé les yeux tant j'étais honteuse de ce qui avait pu se passer. Pourquoi les avais-je tué? Bien que j'avais le sentiment d'être en danger, j'aurais du crier à l'aide ou bien m'enfuir mais de là, à les tuer...? Que dirais Camille ? De cette femme désormais inconnue ne ressemblant plus à la Nayah ayant partagé sa vie. À cette pensée de mon défunt amour, mes pleurs redoublèrent encore de plus belle. Je n'osais plus rien dire, plus rien faire, je venais de leur révéler que j'étais une meurtrière tout juste bonne à être jetée aux cachots.

" Je regrette tant ce qu'il s'est passé... " balbutiais-je tandis que Blanche s'était approchée de moi. Je n'osais rien dire m'attendant aux pires remontrances de mon amie la plus chère. Heureusement, un sentiment bien plus fort que la mort nous dominait: l'amitié. Car elle me réconforta comme la plus loyale des meilleures amies: elle me connaissait depuis si longtemps, elle connaissait ma personnalité. Elle me prit dans ses bras, me massant le dos, cherchant à me calmer du mieux qu'elle pouvait. Elle savait que je n'étais pas une tueuse. Et suite à cette phrase, mon cœur se serra: comme j'aurais aimé lui dire mes sombres desseins prévus avec Scarlett, mais c'était impossible, j'avais conclu ce pacte et je savais ce qu'il adviendrait si jamais le plan était dévoilé. De même, comment une personne amoureuse pouvait comprendre mon besoin de liberté face à un mari trop envahissant? Il y avait tant de choses que j'aurais aimé lui dire mais cela était devenu impossible. Quoi qu'il en soit, sa présence rassurante et ses paroles réchauffèrent mon cœur et firent cesser mes larmes. Mon visage était rouge et bouffi.

" Oh, Blanche... Je sais que je pourrais toujours compter sur ton éternel soutien. " Disais-je en posant ma tête sur l'épaule de mon amie. Cette dernière se tourna vers Heloise qui n'avait dit mot, seul son visage semblait fermé à mes révélations. Était-elle en colère de ce qu'il venait de m'arriver ? Blanche lui demanda de prendre une bouteille de rhum afin que nous puissions prendre un remontant. Ce qu'elle fit sans dire un mot ce qui me paralysait sur place tant j'étais inquiète de sa réaction. Et si elle ne me parlait plus? Cette idée me rendait malade dans la mesure ou j'appréciais énormément la Troisième Classe. Je me souvenais, comme si c'était hier, de cette nuit passée dans ma cabine, après la soirée du casino. Nous avions pratiquement peu dormi mais beaucoup parlé de nos vies respectives, de nos histoires d'amour. Cette nuit de confidence s'était soldée par une belle amitié qui, je l'espérais, était devenue solide. Je le désirais ardemment plus que jamais. Je la regardais terrifiée jusqu'à temps qu'elle nous serve nos verres et nous donne son avis. A mon grand soulagement, elle semblait ne pas me tenir rigueur, bien au contraire, elle souhaitait comprendre les raisons et qui était derrière ces agissements. Heloise pensait que le capitaine avait un rôle à voir dans cette folie macabre. Elle me tendit mon verre et je la remerciais, tandis qu'elle continuait à renchérir sur le fait de rester unie quoi qu'il arrivait.

" Je suis d'accord avec toi... " disais-je en hochant la tête, je pris un air navré en ajoutant : " Malheureusement, en dehors de Lisbeth et Esther, je ne me souviens pas avoir vu quelqu'un d'autre et je serais incapable de vous dire, à toutes deux, si le capitaine à quelque chose à voir dedans. "
Je bus une gorgée du rhum. Cela me rappela soudain que la dernière fois que j'avais bu ce genre de boisson, c'était lors de ma rencontre avec Elliott. Depuis, cet instant d'ivresse et de sensualité, je ne l'avais jamais revu. Il valait mieux, je pense que Jules aurait fait un nouveau scandale s'il m'avait croisé en sa compagnie. Alors, j'avais choisi  de ne plus le voir par précaution. Je ne gardais que les souvenirs et d'ailleurs, l'alcool bu avec mes amies me ravivaient cet instant. Toutefois, le rhum de Blanche était tout simplement exquis et ne ressemblait en rien à ce qu'Elliott m'avait fait boire. Je bus une nouvelle gorgée en regardant Heloise, j'ouvris la bouche à nouveau:

" Toutefois, tu as raison. Nous devons rester unies et ensemble nous trouverons les raisons de notre folie et le responsable derrière tout ça. "

Ce paquebot, Héloïse commençait à ne plus en supporter les mauvais tours. Elle incriminait principalement le Capitaine qui avait toujours été là pour semer la zizanie sur le Titanic, mais plus le temps passait, plus elle avait cette étrange sensation que quelqu’un tirait les ficelles d’un peu plus haut. Une force occulte et mystérieuse dont le Capitaine n’était ni plus, ni moins qu’un pantin qui se devait de réagir au moindre de ses paroles, de ses mouvements. Mais alors, où se terrait-il depuis un an ? Où pouvait-il bien se cacher quand il mettait au point ses odieux stratagèmes pour créer la discorde et détruire les gens, les isoler. Et c’était contre cette idée qu’Héloïse se rebellait. Elle se trouvait le mieux placée pour expliquer que la solitude était ce qui pouvait nous rendre le plus vulnérable et elle avait bien compris l’entreprise ce de cette entité inquiétante. Elle cherchait à les diviser pour mieux les frapper, les séparer pour mieux les détruire. Mais si Héloïse avait si s’accommoder de cet isolement et en naître plus forte, elle savait que ce n’était pas à la portée de tous. Elle avait été portée par sa vengeance et sa rage mais tous les passagers ne pouvaient en dire autant. Ils n’avaient guère d’autres motivations que de survivre, et il se trouvait que malheureusement, les gens commençaient à s’éloigner les uns des autres et à perdre confiance pour échapper à un funeste destin. Ce qu’ils ne savaient toutefois pas, c’est qu’en agissant de la sorte, ils se précipitaient tout droit dans la gueule du loup. Elle n’avait pas la prétention de pouvoir sauver tout le monde, mais au moins, elle se targuait de pouvoir protéger les êtres qui lui étaient chers. Aussi il était important pour Héloïse que Nayah et Blanche restent unies avec elle.
Héloïse écoutant attentivement les paroles de la revenante qui affirmait qu’il n’y avait personne d’autre qu’elle, Esther et Lisbeth sur le pont des premières classes à l’heure du crime. Cela confirmait son hypothèse que quelqu’un d’autre, tapi dans l’ombre, cherchait à leur faire du mal. Blanche elle-même formulait le même résonnement qu’elle ce qui la confortait dans ses idées. Elle s’employait aussi à discriminer le Capitaine, mais pour l’heure, la blonde ne comptait pas le retirer du tableau des suspects avant un bon moment. S’il n’était pas le maître du paquebot et de tous les malheurs qui s’y produisaient, il en était tout de même un acteur essentiel.
La blonde préconisait donc d’être sur leur garde et de ne jamais se diviser car c’était ce que voulait cette chose inconnue et cruelle. Elles devaient faire très attention. Ce que Nayah avait vécu était une tragédie et elle ne devait pas laisser la peur les aveugler. Cette première se rangeait d’ailleurs de son avis. Héloïse acquiesça tandis que Blanche tenait à sceller leur amitié par un dernier verre. La blonde accepta alors d’être resservie, en même temps que Nayah. « Montrons au Titanic et à ce je ne sais quoi de quel bois on se chauffe ! » sourit l’asiatique. « Oui, et pour cela, nous serons prudentes. A nous ! » ajouta la blonde avant de se joindre à ses amies pour avaler sa gorgée de rhum.
Blanche proposa soudain qu’elles se rendent sur le pont où le drame s’était produit pour voir si elle ne pourrait pas trouver un indice qui les mènerait à cette chose mystérieuse. Héloïse ne rejetait pas totalement l’idée mais elle devait bien avouer qu’elle doutait de trouver la moindre trace qui pourrait leur offrir une piste exploitable. Si personne n’était parvenue à déceler sa présence à bord depuis plus d’un an, elle ne pensait pas que trois femmes sorties de nulle part arriveraient à quoi que ce quoi, mais cela ne l’empêcha pas d’acquiescer à la remarque de l’asiatique. « Je doute que nous trouvions des traces. Un homme aurait pu, mais nous ne savons pas à quoi nous avons affaire. Je ne pense pas qu’il aurait commis la moindre erreur, surtout depuis un an que personne ne sait qu’il sévit sur le paquebot. Toutefois, je suppose que cela ne coûte rien d’aller y jeter un œil. » agréa la blonde, prenant une nouvelle gorgée d’alcool. Puis elle se tourna vers Nayah et posa une main réconfortante sur son épaule. « Tu n’es pas forcée de nous accompagner. Nous pouvons très bien mener notre « enquête » un peu plus tard. Je comprends que cela pourrait être pénible de retourner sur les lieux de cette nuit… »

Il y avait un sentiment qui pouvait très bien s'apparenter à l'amour. Un soutien, un sourire, un regard, une complicité et bien d'autres choses à la différence près qu'il n'y avait pas de sentiment amoureux. C'était tout simplement l'amitié et je me rendais compte au travers d'Heloise et de Blanche que je voyais en elles une tendresse sans faille à mon égard. Je venais d'avouer mon terrible péché, en l'occurrence d'avoir tué Esther et Lisbeth mais dès que j'avais révélé ceci, elles avaient fait preuve d'une très grande loyauté à mon égard. Elles ne m'avaient pas rejetés, ni jugés. Non, elles avaient simplement cherchés â comprendre pourquoi et comment cela avait-il pu arriver? J'avais l'impression d'avoir été possédée comme si une force étrangère s'était emparée de mon âme et forçait à faire des choses que je ne voulais faire. Mon premier meurtre devait se faire par le biais de mon pistolet et non par le biais de mes mains. Voilà que désormais, mes doigts qui tenaient le verre de rhum avaient enlevé la vie. Je trouvais cela effrayant et également ... Fascinant. Je crois que l'alcool commençait à me monter à la tête. Je n'avais plus bu une seule goutte depuis longtemps alors forcément, je commençais à être soul. Bien entendu, à cet instant là, Blanche eut l'idée de trinquer à notre amitié et je joignit mon verre en leur souriant â toutes les deux. Puis, je m'essuyais les yeux de mes larmes et bu d'une traite le liquide rempli de l'alcool de couleur ambre. Nous devions rester unies: l'union faisait la force comme disait le proverbe.
C'est là que Blanche proposa l'idée que nous puissions aller sur le pont et je manquais défaillir. Revenir la bas? Là ou j'avais commis mon terrible méfait. Je regardais mon amie asiatique avec des yeux ronds comme si c'était soudain devenu un étrange énergumène venu d'une autre planète. Mais je restais muette préférant me servir à nouveau un verre de rhum que je bus d'un seul trait.
Non non non, je ne voulais pas revenir la bas. C'était horrible ce qu'il s'était passé et je ne voulais revivre ça. De même, je craignais que la force démoniaque m'ayant possédée puisse revenir et si je tuais Blanche et Héloise? Non ça, jamais je ne pourrais me le pardonner! Jamais!!
Alors me réservant à nouveau, je me mis à marcher en direction d'un fauteuil posé dans un recoin de la pièce n'écoutant même plus ce que répondait Héloise à la styliste. Je m'asseyais dans le dit objet, d'une attitude qui ne correspondait en rien celle d'une première classe. J'avais ramené mes pieds nus sur le socle de tissu rebondi  ou je m'étais posée voir avachie. Et je mis à téter le verre goûtant goutte par goutte, le précieux alcool. Je me sentais trop mal à l'idée de revenir la bas. Au pire, elles n'avaient qu'à y aller toutes les deux! Moi je resterais avec mon verre et mon éthylisme de plus en plus flagrant.

Soudain, je sentis une main rassurante se poser sur mon épaule et J'aperçus Héloise qui me parlait avec réconfort. Sa réponse me toucha et je lui répondais alors: " Allez y toutes les deux sans moi, je n'ai pas très envie d'y aller . Imaginez, un seul instant, que j'ai encore cette envie de vous tuer? Lisbeth et Esther n'ont pas réussi à m'éviter et je n'ai pas envie d'être responsable de votre mort, mes amies. "

Je me relevais d'un bond, terminant mon verre et puis je pris Héloise par la main et alla vers blanche dont je pris également son bras. Les tirant, je les amenais sur le canapé se trouvant dans la pièce et je m'y écroulais avec elles. Posant ma tête sur l'accoudoir, je ne pus m'empêcher de murmurer:

" S'il vous plait! Restons ici, d'accord? J'ai pas besoin d'aller sur ma scène de crime pour jouer aux détectives, tout ce que je veux, c'est me détendre, rire, boire, décompresser... J'en ai tellement besoin, le comprenez vous? " marmonnais je à l'encontre de mes amies.

Il existait sur terre des liens qui ne pouvaient être brisés, des sentiments indissolubles qui étaient à l’épreuve de tous les malheurs. Et ce seul lien en lequel la Comtesse avait toujours cru, c’était l’amitié. L’amour n’avait guère donné beaucoup d’espoir à Héloïse et elle savait qu’il était une valeur peu sûre. Un rien pouvait l’ébranler et même l’amour le plus sincère pouvait être détruit en un claquement de doigt et il n’y avait guère de place pour une quelconque rédemption. Seules les amitiés avaient su apporter de la joie dans la vie d’Héloïse. Tout premièrement, ça avait été son amitié avec Ann-Elizabeth, Mary et Marianne qui avait fait d’elle un être moins froid, moins dur que ce qu’elle avait été. Certes, elle n’était qu’une enfant, mais son être tout entier était déjà rongé par la haine et la vengeance. Elle n’avait jamais vécu que pour venger sa mère, mais quand elle se retrouvait près de ces jeunes filles, elle lâchait quelque peu prise et elle s’armait de plus de douceur. Elle devenait cette petite fille qu’elle aurait toujours dû être, innocente et joueuse, espiègle et insouciante. Elle était bien plus fière de ses amies que de ces amours. Tout ce que l’amour avait pu lui offrir, il lui avait repris, alors elle était satisfaite d’avoir des amies à bord. Certes, elle avait retrouvé ces amies d’enfance, mais la distance des années les éloignait encore, d’autant qu’elles avaient dû apprendre à connaître la nouvelle Héloïse. Cette Héloïse qui avait tué son père, qui avait été animée par la haine durant des années. Alors il n’était guère aisé de reprendre la même relation de confiance d’autrefois. Mais avec ces nouvelles amies sur le Titanic, les choses étaient autres, d’autant que la Comtesse savait pertinemment que chacune avait un lourd passé à cacher. Pour Nayah, il n’y avait que peu de choses qu’elle ne savait pas, et voilà qu’elle était au courant pour le double meurtre de la jeune femme. Quant à Blanche, son nom et son origine étaient deux paradoxes qui cachaient sans nul doute une longue histoire. Mais Héloïse connaissait suffisamment bien le mécanisme des secrets pour ne pas se mêler de la vie des autres. Toutefois, un lien spécial les liait toutes les trois et la blonde connaissait la valeur de l’amitié. C’est pourtant, elle n’avait pas blâmé Nayah pour ce qui était arrivé. Elle mettait même en cause cette créature de l’obscure qui envahissait ces lieux et la Comtesse était encline à la désigner en tant que Capitaine. Depuis le début, elle était certaine que c’était lui et elle n’en démordrait certainement pas. De ce fait, elle doutait qu’une moindre entité soit responsable du massacre qui avait été perpétré sur le pont du Titanic. Elle fut donc bien heureuse quand Nayah supplia Blanche et elle de rester à ses côtés. Elle préférait autant rester avec elle, lui changer les idées et lui faire oublier cette terrible nuit. Tuer quelqu’un était un acte assez bouleversant, mais il l’était encore plus quand il y avait plusieurs victimes et que le crime était en-dehors de notre volonté. Elle comprenait donc la détresse de Nayah et Héloïse passa une main réconfortante sur l’épaule de la jeune femme, lui offrant un doux sourire tandis qu’elle nous avait amenées sur le canapé de la cabine de l’asiatique. Blanche ajouta de ce fait que les jeunes femmes resteraient à jamais avec elle. Voilà les vraies valeurs de l’amitié qu’Héloïse ne parvenait à retrouver dans l’amour. Elle aurait aimé que Jack l’écoute, que Jack soit compréhensif mais tout ce qu’il savait faire, c’était juger. Oh mais elle ne devait plus penser à cela ! Elle était en trop bonne compagnie pour songer à cet homme qui meurtrissait chaque jour un peu plus son cœur. « Blanche dit juste. » approuva la troisième classe. « Nous serons toujours à tes côtés quoi qu’il advienne. » Et sur ces mots dits avec tendresse, Héloïse coupla ses doigts à ceux de Nayah et les serra fort dans les siens. Blanche se manifesta bientôt en reprenant un air jovial qui ramena tout de suite une atmosphère plus apaisée au sein du groupe. « Et si on se pomponnait ? » enjoint-elle à ses deux amies. Héloïse laissa couler un doux rire d’entre ses lèvres avant de répondre. « Excellente idée ! Cela nous fera du bien à toutes ! » annonça-t-elle d’un ton plus léger en se relevant du fauteuil. Elle se tourna vers ses deux amies et leur tendit à chacune la main. « Rendons cette journée mémorable. »